Pour la défense inconditionnelle de la Chine !
La question de la défense inconditionnelle de l’État ouvrier déformé chinois est la « question russe » d’aujourd’hui. Pendant toute l’existence de l’URSS, la « question russe », c’est-à-dire la défense inconditionnelle de l’URSS contre les impérialistes ou la contre-révolution interne a été une question clé pour distinguer les révolutionnaires des centristes et des réformistes. Cette question, surtout depuis la dégénérescence de l’URSS, fut un point d’achoppement, comme pour la création de la IVème Internationale. Et une des dernières batailles cruciales de Trotsky le fut contre l’opposition petite-bourgeoise dans le SWP qui refusait cette défense inconditionnelle de l’URSS.
Après la deuxième guerre mondiale, les impérialistes, et en particulier le plus puissant d’entre-eux, l’impérialisme US, ont rapidement rétabli comme priorité la destruction du premier État ouvrier. Pendant plus de quatre décennies, cette question polarisa, de façon plus ou moins continue, le monde. Elle a aussi divisé le mouvement ouvrier qui oscillait, sous les pressions impérialistes, entre soutien à la bureaucratie stalinienne ou ralliement à l’anti-soviétisme. Seuls les trotskystes étaient capables de défendre l’État ouvrier dégénéré sans donner un soutien politique à la bureaucratie stalinienne.
La première Guerre froide aura raison de la Quatrième internationale, détruite par le pablisme [1]. Cherchant des raccourcis face à l’isolement, l’incapacité théorique, la désorientation et la force de l’impérialisme, le pablisme va abandonner la conception léniniste-trotskyste du parti pour une conception d’un parti de pression sur les directions en place du mouvement ouvrier, essentiellement staliniennes à l’époque. Inutile de revenir pour le moment sur l’itinéraire des pablistes. Si la minorité anti-pabliste de la Quatrième internationale a été capable de maintenir dans un premier temps le programme révolutionnaire, les pressions impérialistes et nationales, son relatif isolement face à des soulèvements ouvriers ou des révoltes anti-coloniales, allaient la faire éclater en de multiples organisations déviant du programme révolutionnaire. Et quand la deuxième guerre froide allait se développer à la fin des années 1970s, toutes refuseront, sous divers prétextes, de défendre l’URSS face aux campagnes anti-soviétiques. De ce désastre, seuls les « spartacistes », totalement isolés, allaient essayer d’être à leur poste pour maintenir en pratique ce point clé du programme trotskyste qu’était la défense inconditionnelle de l’URSS.
La Chine, la « question russe » d’aujourd’hui
Après la destruction de l’URSS, la Chine s’est retrouvée comme le plus puissant État ouvrier déformé. Depuis le « pivot vers l’Asie » des USA sous Obama fin 2011, elle est devenue une préoccupation centrale pour l’impérialisme US. La raison essentielle est son développement économique et technologique qui, en s’accélérant, a commencé à poser des problèmes. La Chine exportant des produits manufacturés de plus en plus sophistiqués tant du point de vue technologique qu’en terme de qualité, les impérialistes US (de même que leurs concurrents) ont vu fondre leurs profits et la plus-value qu’ils extorquaient de la Chine et du monde entier, ce qui leur est intolérable. Ils ont aussi clairement perçu que ces développements provoquaient une accélération de leur déclin, entamé depuis plusieurs décennies. C’est la mise en péril de leur domination du monde et du pillage éhonté de la planète qui les obligent à réagir.
Pour essayer de retarder cette échéance inévitable, les impérialistes états-uniens tentent donc, depuis plus d’une décennie, d’endiguer économiquement la Chine, cherchant par cela à déstabiliser et faire s’effondrer l’État ouvrier déformé. Vu leur propre état économique et leur dépendance vis-à-vis de l’industrie chinoise, ils se concentrent sur les domaines technologiques et scientifiques où ils ont encore de l’avance. Si Démocrates comme Républicains partagent complètement cet objectif, leurs approches pour le mettre en place diffèrent.
Les Démocrates ont essayé de chercher à rassembler autour d’eux leurs concurrents impérialistes pour des soutiens et trouver des Etats-clients pour éventuellement attaquer militairement la Chine dans leur rêve d’une débâcle économique de celle-ci. La guerre en Ukraine et/ou l’affaire du Nord Stream 2 ont montré qu’ils étaient y compris prêts à leur tordre le bras pour arriver à leurs fins.
Trump, quant à lui, est persuadé que ses tarifs douaniers et sa « puissance de négociation » vont mettre le monde entier à ses pieds, que Poutine va suivre ses conseils et que la bureaucratie chinoise va se désintégrer devant ses mesures. Avec son MAGA, les seuls soutiens internationaux qu’il cherche sont des soutiens de proches de lui politiquement (Milei, Marcos, Bukele et quelques autres) tandis que ses tarifs douaniers, visant aussi tous ses alliés (et rivaux) impérialistes, accentuent son isolement internationalement. En renforçant toutes les faiblesses internes de l’impérialisme US (divisions en tout genre du pays, appauvrissement de sa population, récession probable, etc.), il n’est en fait qu’un accélérateur formidable du déclin états-unien (ce dont on ne peut que se réjouir). Heureusement, étant donné la désindustrialisation, la division, le morcellement des USA ainsi que l’état de leur armée, l’option militaire directe ne paraît pas être une option réaliste dans l’immédiat. Mais l’impérialisme US, aujourd’hui avec Trump et le ramassis de faucons anti-Chine qui l’entoure, a lancé une guerre économique et financière qui pose franchement la question de la défense inconditionnelle de la Chine par les ouvriers états-uniens et tous les ouvriers des pays capitalistes, pour que cette guerre soit une défaite de nos propres impérialistes.
L’État ouvrier se développe malgré la bureaucratie
Le développement de la Chine est, fondamentalement, le résultat du renversement en 1949 des capitalistes chinois et de l’expulsion de leurs mentors impérialistes dont la rapacité avait réduit la Chine en un des pays les plus pauvres de la planète. Copiant dès le début le modèle stalinien en place en URSS, le PCC a mis en place un État ouvrier bureaucratiquement déformé. La réforme agraire, la planification de l’économie ou le monopole du commerce extérieur étaient décidés sans que les paysans ou les ouvriers n’aient leur mot à dire. Mais, même décidées bureaucratiquement, ces mesures ont permis à la Chine de progresser rapidement. Dans un premier temps grâce à l’aide considérable apportée par l’URSS face au blocus économique des impérialistes US. Avec ses ingénieurs et techniciens, l’URSS a permis d’industrialiser la Chine de façon importante (et de former une classe ouvrière puissante), jusqu’à la rupture sino-soviétique.
Après le ralentissement dû à l’autarcie maoïste, l’essor industriel a repris de plus bel avec « l’ouverture » aux capitalistes occidentaux, favorisée par le ralliement de la bureaucratie chinoise à l’antisoviétisme. Cette ouverture a permis d’acquérir toute une série de technologies manquantes, de développer les villes en y transférant des centaines de millions de paysans, d’aménager des infrastructures modernes à tous les niveaux (transports, ports, santé, éducation, etc.) transformant complètement la vie misérable du pays. De quelques centaines de millions de paysans pauvres avec pratiquement aucune réelle industrie lors de la Révolution, la Chine en est arrivée à devenir l’« atelier du monde » puis l’« usine du monde » et est aujourd’hui la plus grande puissance industrielle de la planète.
Développement et socialisme dans un seul pays
Qu’un État ouvrier fasse du commerce avec les impérialistes, voire accepte des investissements de ceux-ci, comme en Chine, n’est pas une question de principe. Lénine, avec l’échec des révolutions en Europe, avait proposé d’acheter des machines en Angleterre [2] ou en Allemagne en échange du blé soviétique. Il expliquait combien la Russie soviétique allait payer extrêmement cher pour ces machines, mais c’était le seul moyen de développer la Russie soviétique, de tenir et de maintenir la révolution. Mais la principale différence avec la bureaucratie chinoise, qui a fait des centaines de joint-ventures (JV) sous contrôle de l’État chinois, c’est que Lénine construisait l’Internationale communiste (IC) et se battait pour construire des partis communistes dans tous les pays, y compris dans les pays impérialistes avec lesquels il envisageait de négocier. Le programme de l’IC et des PC était la révolution ouvrière. Lénine et Trotsky faisaient tout leur possible pour que ce soit les ouvriers communistes anglais ou allemands qui, à la tête de leur pays, offrent ou échangent les machines avec la Russie soviétique. Si Lénine envisageait de négocier avec les impérialistes, c’est parce qu’il était obligé de le faire.
Les bureaucrates staliniens, avec leur « socialisme dans un seul pays » et la « coexistence pacifique » ne cherchent en rien à ce que les classes ouvrières des pays capitalistes prennent le pouvoir afin, non seulement d’offrir ou d’échanger des technologies, des services, des produits, etc., mais de mettre en place une économie planifiée commune. Ce n’est pas par obligation qu’ils offrent une énorme masse de plus-values aux capitalistes, mais parce qu’ils protègent leurs positions avantageuses. Comme l’explique Trotsky dans la Révolution trahie, toute révolution ouvrière dans les pays capitalistes pourrait réveiller la classe ouvrière de l’État bureaucratisé et mettrait en danger cette couche parasitaire et sa position privilégiée. De ce point de vue, le pire crime pour la bureaucratie chinoise aura été son soutien à la campagne anti-soviétique de l’impérialisme US amenant à la destruction de l’URSS, conclusion logique des politiques nationalistes des bureaucraties staliniennes.
Après la destruction de l’URSS, les rivalités inter-impérialistes se sont ravivées et celles-ci se sont traduites par plus d’attaques contre les classes ouvrières et la remises en cause de la plupart de leurs acquis historiques. Ces attaques ont été d’autant plus possibles que les impérialistes ont pu compter sur la complicité des directions réformistes du mouvement ouvrier qui, en défendant « leur nation » ou « leur entreprise » dans cette concurrence, ont détourné, saboté et épuisé la résistance de la classe ouvrière. Ce recul des luttes ouvrières dans les pays capitalistes a évité à la bureaucratie chinoise des explosions de lutte de classes extérieures qui auraient pu la faire chanceler. En même temps, les crises économiques des capitalistes s’enchaînant et le déclin de l’impérialisme US s’accentuant, la bureaucratie chinoise a gagné un précieux temps qui lui a permis non seulement de développer le pays, mais d’accélérer suffisamment le développement pour qu’il précipite encore plus le déclin US. Concours de circonstances supplémentaires, c’est l’impérialisme US lui-même qui a pris un soin méticuleux, depuis toujours, afin qu’aucun impérialisme rival ne soit en mesure de le remplacer !
Démocratie ouvrière et socialisme de marché
Les problèmes existentiels de base (la famine, l’indigence, la maladie ou l’analphabétisme) ne sont plus le souci quotidien de la population. Ainsi la dernière centaine de millions de personnes vient juste de sortir de la pauvreté au moment où les impérialistes y plongent des dizaines de millions de personnes à travers le monde. Le développement des infrastructures (transports, énergies, communications, etc.), l’amélioration de l’éducation (un étudiant en sciences sur deux dans le monde est chinois), de la santé, du logement, etc. sont à mettre en relief avec les pays capitalistes qui, secoués par leurs crises et leur concurrence, en particulier après la destruction de l’URSS, ont rogné ou remis en question quasiment tous les acquis obtenus de haute lutte par les ouvriers .
Bien sûr, étant donné le retard énorme qu’elle avait en 1949, et même avec les progrès importants réalisés depuis, la Chine a toujours du retard par rapport aux impérialistes en général, et à l’impérialisme US en particulier. Surtout que la bureaucratisation a entraîné et entraîne des faux-frais gigantesques (gabegie, corruption endémique, etc.) avec des pertes économiques et sociales immenses. Car en l’absence de démocratie ouvrière – ni les soviets ni la démocratie ouvrière n’ont jamais existé en Chine – les progrès en termes de productivité et de qualité sont ralentis. Face à ce problème, qui peut mener au chaos au risque de mettre en danger leur existence même, les bureaucrates staliniens utilisent des substituts et la bureaucratie chinoise, comme la plupart des bureaucraties staliniennes, est passée d’une planification étatique centralisée à un « socialisme de marché », encadré et guidé par une planification nationale.
Dans un État ouvrier sain, les besoins et les capacités de production de la société sont répertoriés à travers les soviets des ouvriers et des paysans. Avec ces données, les soviets peuvent ainsi organiser et planifier la production, et aussi organiser et planifier la croissance de cette production. Car après la prise du pouvoir, les ouvriers se retrouvent avec une économie qui, du fait du capitalisme, est incapable, même dans un pays capitaliste avancé, de satisfaire les besoins élémentaires de la population. Une fois au pouvoir, il faudra une période de développement et des révolutions ouvrières dans les autres pays pour ne serait-ce que répondre à ces besoins élémentaires. La démocratie ouvrière, avec des responsables élus et révocables à tout moment et des discussions libres dans les soviets, permet de déterminer les objectifs et de contrôler les résultats. Elle ne peut s’appliquer qu’avec une classe ouvrière consciente de ses tâches et mobilisée. La bureaucratisation de l’URSS a eu lieu après l’échec des jeunes et inexpérimentés partis communistes d’Europe de l’Ouest à diriger des révolutions ouvrières, en particulier en Allemagne, et était due à plusieurs facteurs comme l’isolement de l’URSS face aux impérialistes et l’arriération économique, politique et culturelle du pays. Ces facteurs ont permis aux gestionnaires de l’État ouvrier (les « bureaucrates ») d’échapper au contrôle d’une classe ouvrière qui, démoralisée, avait quitté les soviets. En Chine, dès le début de la révolution en 1949, le PCC était hors contrôle.
Dans un État ouvrier bureaucratisé, n’ayant leur mot à dire et le pouvoir leur échappant complètement, les ouvriers ne se sentent pas concernés par la production tant en terme de qualité que de quantité. Dans un État ouvrier sain, la démocratie soviétique permet aux ouvriers et paysans de pouvoir faire remonter immédiatement et directement les problèmes de qualité ou de quantité aux soviets concernés afin que les problèmes soient examinés et réglés. Lucre et privilèges étant absents, l’émulation socialiste, tout en permettant d’élever le niveau de conscience, de compétence et de connaissance des ouvriers/techniciens/ingénieurs, stimule l’amélioration de la productivité, de la qualité et l’innovation. C’est ce que la Russie soviétique de Lénine et Trotsky avait mis en place, dans des conditions effroyables, avec la guerre civile et l’intervention des armées impérialistes, dans un pays extrêmement retardataire. Un système qui a très rapidement et définitivement disparu quand les soviets ont été bureaucratisés et que les ouvriers les ont désertés à partir de 1924.
Les classiques problèmes avec le marché
L’« ouverture » avait donc pour objectifs de rompre avec la médiocrité, tant en terme de modernisation, de productivité que de qualité ou de diversité des produits. Par pallier, la privatisation est autorisée, avec les entreprises étatiques et les banques centrales qui dominent. La bureaucratie va donc substituer la démocratie ouvrière par des méthodes et techniques importées des pays capitalistes avancés. Les premières joint-ventures avec des entreprises capitalistes étrangères sont le fait d’entreprises d’État, comme dans l’automobile. Ces JV seront développées plus amplement, de même que le secteur privé, autorisé à la toute fin des années 1990 (et l’adhésion à l’OMC en 2001), qui a développé toute une couche de capitalistes, dont certains très riches. Cependant, tous les rouages essentiels (financiers avec les banques d’État, industriels avec les principales infrastructures dans l’énergie, les mines, la métallurgie, etc.) sont entre les mains du gouvernement, et les entreprises du privé (même dirigées par des milliardaires) sont sous le contrôle final du gouvernement (elles et ils peuvent du jour au lendemain voir leur sort scellé sous divers prétextes).
Si la qualité médiocre était la norme il y a encore une trentaine d’années, aujourd’hui, pour la plupart des produits, en particulier technologiques, non seulement leur qualité est bonne, mais elle rivalise et surpasse souvent celle des pays capitalistes. Cela a été un développement sur plus de 40 ans, basé sur et permis par une amélioration de l’éducation, de la formation, des conditions de vie, des infrastructures, etc. Ce n’est jamais sur une conscience politique marxiste qu’il s’est appuyé, mais sur le nationalisme et le patriotisme, car la conscience a été remplacée par des procédures techniques et méthodologiques importées, par la surveillance et la répression ou des incitations financières. Depuis, les progrès technologiques (robotisation, digitalisation, internet des objets, IA, etc.) ont encore fait faire des bonds, tant en qualité qu’en productivité. Mais ces résultats, effectifs aujourd’hui, sont passés par des processus entraînant une déperdition d’énergie, de travail ou de temps phénoménale. Il y a cependant au moins un énorme avantage, qui n’était certainement pas un objectif du PCC au départ, c’est que les ouvriers chinois (et une partie de la bureaucratie) ont appris dans leur chair à ne pas avoir d’illusions dans le capitalisme occidental (et sa « démocratie »).
Si on peut constater avec la Chine que le « socialisme de marché » peut permettre d’avancer, avec un coût exorbitant, on peut aussi constater que les travers de « la main invisible » du marché (qui plus est, contrôlée bureaucratiquement) sont bien présents. On retrouve la tendance inévitable, si aucun coup d’arrêt n’y est mis, à une compétition effrénée qui sévit aujourd’hui dans tous les domaines ou branches industrielles de Chine qui ne sont pas dominés par des sociétés d’État. Ainsi les emblématiques véhicules électriques (NEV) où des centaines d’équipes, impliquant des dizaines et des dizaines de milliers d’ingénieurs, de techniciens et de chercheurs, font exactement les mêmes recherches et développements. Si chaque équipe-entreprise est hyper organisée et centralisée en interne, au niveau du marché c’est la compétition, la désorganisation et l’anarchie avec leur inévitable gabegie.
La démocratie soviétique permettrait de faire converger le foisonnement d’initiatives, d’innovations et d’avancées et de les organiser au mieux des intérêts de la société, l’émulation permettant un partage, une parallélisation et l’amélioration des performances. Le marché seul, surtout quand y foisonne une myriade d’entreprises « privées », fait apparaître rapidement ses classiques vices et pratiques néfastes, comme le dumping social ou technique, la vampirisation, etc. Ce n’est que quand les problèmes économiques et/ou sociaux commencent à apparaître ou, pire, quand ils sont déjà développés, c’est-à-dire toujours trop tard, que la bureaucratie siffle la fin de la partie et doit remettre de l’ordre. Dans le cas des NEV, on est déjà arrivé au stade où la bureaucratie commence à intervenir pour mettre plus d’« ordre » en incitant à des regroupements (qui ont déjà commencé) et en émettant de nouvelles règles pour essayer de rectifier les dérives comme la guerre des prix. C’est d’autant plus important que cette industrie, en plein développement, revêt une importance particulière aux yeux du gouvernement, dans la société et dans le monde. Et comme toujours, les dégâts sociaux occasionnés par des entrepreneurs privés sont absorbés par les ouvriers et les gouvernements locaux.
Les contradictions de la bureaucratie
Le pouvoir et la richesse de la bureaucratie repose sur l’économie contrôlée par l’État qu’elle-même contrôle dans une certaine mesure. Pour défendre sa position privilégiée, elle va défendre, par ses propres méthodes, cette économie. Soit en s’appuyant sur la classe ouvrière et ses 300 à 400 millions de membres contre les menaces de contre-révolution externe ou interne, soit en réprimant la classe ouvrière quand et si celle-ci la menace (comme on l’a vu en 1989 dès qu’il y a eu un début de mobilisations indépendantes des ouvriers).
Cette classe ouvrière énorme est un facteur clé avec lequel la bureaucratie doit compter. Tout ralentissement important et prolongé du développement déboucherait sur des troubles sociaux que la bureaucratie redoute car cela la mettrait en danger. Cela explique qu’elle soit extrêmement ferme face aux tarifs douaniers de Trump. La conception de Trump est de chercher aussi bien à rétablir les profits des capitalistes états-uniens qu’à tenter de déstabiliser l’État ouvrier déformé. La bureaucratie est d’autant plus ferme qu’elle s’y est préparée depuis les premières attaques tarifaires de Trump 1 (contrairement aux capitalistes occidentaux et états-uniens) et qu’en tant qu’État ouvrier, la Chine dispose de toute une série de politiques et de moyens dont les capitalistes occidentaux et leurs États ne bénéficient pas.
Le niveau de vie et les conditions sociales des ouvriers se sont nettement améliorées, en particulier depuis une quinzaine d’années, après la vague de grèves dans le secteur de l’automobile dans les usines de Foshan en 2010. Cela ne signifie pas que ces améliorations des conditions de vie, de santé, d’éducation, de retraite, etc. soient idéales, loin s’en faut. Les plus de 250 millions de travailleurs migrants, loin de chez eux et de leurs familles, aux conditions de travail souvent difficiles, en sont la preuve. Mais il est remarquable de constater, de reconnaître et d’expliquer une telle évolution. Et tout aussi remarquable de constater que face aux droits de douanes de Trump, les salaires ont été augmentés tandis que le système de santé et de retraite étaient à nouveau améliorés afin d’augmenter encore la consommation (alors que c’est exactement l’inverse qui se passe dans les pays capitalistes).
Pour les paysans, qui représentent moins d’un tiers de la population générale aujourd’hui, même si leur niveau de vie a progressé de façon spectaculaire dans la toute dernière période, il faudra encore des années avant qu’il ne commence à se rapprocher de celui des villes. Cela ne fait que cinq ans que la dernière centaine de millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté en a été sortie.
Bien sûr les conditions des ouvriers et des paysans sont éloignées de celles des 300 ou 400 millions de techniciens, ingénieurs, managers, médecins, enseignants, etc. (et d’une partie des bureaucrates). Cette couche a été développée et formée de façon consciente et planifiée par la bureaucratie pour moderniser non seulement les industries, mais la société toute entière, et arriver à ce que la recherche et le développement permettent de dépendre le moins possible des Occidentaux. Bien sûr tout cela dans des cadres déterminés bureaucratiquement et sur la base de la méritocratie. Cette couche est d’autant plus choyée par la bureaucratie qu’en plus elle est aussi un des piliers de la consommation et que sa masse permet des économies d’échelle et, quand des crises dans les pays capitalistes se produisent, d’atténuer et lisser les chocs économiques.
S’il est évident que la société est loin d’être égalitaire, ce que les quelques millions de millionnaires ou milliardaires, de hauts bureaucrates et autres riches capitalistes démontrent, d’innombrables exemples (comme pour les patrons d’Evergrande ou d’Alibaba) indiquent clairement qu’ils ne sont aujourd’hui absolument pas les maîtres du jeu.
Détruire l’impérialisme par des révolutions ouvrières,
meilleur moyen de défendre la Chine
Bien sûr le meilleur moyen de défendre l’État ouvrier déformé chinois est que les classes ouvrières des pays capitalistes, et la classe ouvrière états-unienne en premier lieu, au minimum paralysent les velléités de leurs bourgeoisies contre la Chine ou, mieux, les chassent par des révolutions ouvrières. Malheureusement, il serait présomptueux de notre part, en tant que poussières d’individus, de considérer notre appel à des révolutions socialistes comme autre chose qu’une perspective propagandiste. La réalité du monde tout comme notre propre réalité nous rendent bien conscients que notre « intervention » ne va pas changer la lutte des classes ni inverser le cours du monde. Le déclin de l’impérialisme US aura des conséquences bien plus important au niveau de la lutte des classes que l’agitation et les imprécations de quelques dizaines de milliers de réformistes et de sous-économistes. Pour paraphraser Engels [3] à propos de la classe ouvrière anglaise alors que l’Angleterre déclinait, ce sera peut-être une occasion historique de voir le prolétariat états-unien quitter le cul de sa bourgeoisie.
Elle sera, hélas, confrontée à l’absence d’un parti révolutionnaire aux USA, un parti qu’il faut reconstruire puisque les derniers militants états-uniens de la LCI survivants ne sont plus aujourd’hui qu’un groupe sous-économiste. Le futur parti révolutionnaire, aux Etats-Unis comme ailleurs, devra se réapproprier les principes communistes qui ont été bazardés par la petite coterie qui dirige maintenant la LCI, des principes que nous essayons de préserver.
Si le rôle d’un parti est déterminant si on veut un jour des révolutions ouvrières, c’est parce que la classe ouvrière doit prendre conscience de son rôle dans la société capitaliste et que c’est elle seule qui a le pouvoir de la renverser. Élever le niveau de conscience de la classe ouvrière est un des problèmes fondamentaux du mouvement ouvrier. Dans le programme de fondation de la IVème Internationale, Trotsky avait expliqué le rôle des programmes transitoires, « ponts » permettant à la classe ouvrière de progresser de son niveau de conscience actuel à une conscience socialiste, c’est-à-dire la nécessité de renverser le capitalisme. Les principales organisations se réclamant du trotskysme ont depuis longtemps abandonné ces programmes transitoires pour retourner, au mieux, aux classiques « programme minimum-programme maximum » ou, le plus souvent, au simple « programme minimum » (comme les économistes qui considèrent que la conscience des ouvriers s’acquiert automatiquement dans l’action ou le mouvement – comme LO ou, tout récemment, la LCI [4].
La défense de la Chine dans les pays capitalistes
Si la révolution socialiste n’est pas à l’ordre du jour nulle sur la planète aujourd’hui, la défense de la Chine l’est. Et elle l’est sans condition. À l’heure où l’impérialisme US, en sombrant, entraîne le chaos et les attaques contre les ouvriers sur la planète capitaliste, les révolutionnaires doivent montrer comment l’État ouvrier déformé chinois traverse une nouvelle fois cette épreuve avec un minimum de dégâts et continue à progresser. Et ce malgré la bureaucratie dont le rôle freine le développement. S’il y a nécessité pour les ouvriers chinois de s’en débarrasser et de construire une économie soviétique, il faut clairement indiquer que ce sont à eux, les ouvriers, de chasser les bureaucrates, pas aux impérialistes.
L’objectif est de faire comprendre à l’avant-garde ouvrière qu’ils ont un intérêt à ce que leurs impérialistes échouent dans leurs tentatives d’endiguer la Chine, et qu’ils subissent des défaites, comme en Ukraine [5], et que leur tâche est de faire des révolutions ouvrières dans les pays capitalistes afin d’établir des États ouvriers soviétiques et des économies planifiées qui pourraient commencer à résoudre tous les problèmes auxquels ils sont confrontés. Il leur serait facile de comprendre qu’ils doivent défendre l’État ouvrier déformé chinois malgré Xi.
Des programmes transitoires devraient donc partir des difficultés que les ouvriers commencent à affronter (inflation, licenciements, rognage d’acquis, etc.) et montrer comment celles-ci sont liées à la propriété privée des moyens de production et la recherche du profit. Il n’y a pas de solutions dans le système capitaliste, il faut le renverser. Bien sûr, en attendant qu’un choc secoue la planète et que la classe ouvrière se remette en mouvement, vers l’avant, et vu l’état du mouvement ouvrier organisé actuellement, ce genre de propagande ne risque de toucher que quelques individus sur la planète. S’il y avait des raccourcis, ça se saurait. Mais quelle que soit la difficulté, le maintien des quelques principes que nous avons appris nous semble la meilleure chose que nous puissions faire pour le moment. Ce qui nous attirera les sarcasmes et quolibets des groupes « agissant » et « intervenant » dans « le monde réel » (qui est en général un monde inventé et illusoire) [6].
La défense de l’État ouvrier déformé chinois en Chine
Le Programme de transition, écrit par Trotsky, expliquait :
S’il y a des différences avec l’État ouvrier déformé chinois d’aujourd’hui, les principes sont toujours d’actualité. Même si cela n’est pas visible de l’extérieur, il est inévitable que des courants traversent un parti de près de 100 millions de membres. Avec le déclin des USA et les crises que traversent les pays capitalistes, avec les tentatives d’endiguement des impérialistes US et la proportion de la population travaillant dans des usines appartenant tout ou partie à des capitalistes occidentaux, l’attirance et les illusions pour la « démocratie » et la « liberté » bourgeoises ne sont pas à leur sommet. On s’en était rendu compte quand les quelques manifestations qui se sont brièvement développées en novembre 2022 (rapportés avec enthousiasme par les médias impérialistes et leurs lieutenants ouvriers) n’ont rameutés que quelques centaines d’anti-communistes pro-« démocratie » et autres religieux antivax.
Ce qui est sûr, c’est que la « fraction Reiss » (les continuateurs du bolchévisme) ne peut exister en Chine. Quand Trotsky a écrit ces lignes, alors que les menaces de l’Allemagne nazie polarisait la société soviétique, il avait encore des milliers de partisans en URSS (beaucoup dans des camps) et la mémoire de la révolution était encore fraîche. Le véritable bolchévisme et le trotskysme sont maintenant totalement inconnus en Chine puisque combattus puis effacés depuis bientôt un siècle par le PCC. Toute la politique du PCC est basée sur le nationalisme, toute initiative en dehors du parti est impossible et sujette à répression. Le « socialisme dans un seul pays » et la « coexistence pacifique » ont éradiqué la notion d’internationalisme prolétarien. Le niveau de conscience de la classe ouvrière chinoise ne peut être qu’extrêmement bas. Sous cet aspect la situation sera similaire à celle en URSS ou en DDR au moment de leur destruction. La différence par contre est que, des dizaines de millions de ces ouvriers travaillent ou ont travaillés dans les entreprises capitalistes étrangères et n’ont pas les illusions que pouvaient avoir les ouvriers soviétiques ou est-Allemands. Trouver les moyens de s’adresser à cette difficulté est dès aujourd’hui un des problèmes à résoudre pour les révolutionnaires.
Un des éléments de réponse est que face au caporalisme, à la corruption, aux inégalités et à la gabegie, une couche d’ouvriers, de la population, et du parti, se pose la question de comment y mettre un terme, sans illusions dans la « démocratie » bourgeoise. Que le culte de Mao ait repris une certaine vigueur (basé sur l’image erronée d’un Mao égalitariste alors que le système bureaucratique était identique, la seule différence étant que l’énorme pauvreté aplatissait les inégalités), la répression dont a été victime le bureaucrate concurrent de Xi Jinping, Bo Xilai, dont l’aura était basée sur une espèce de retour vers le maoïsme ou encore l’arrestation du groupe d’étudiants maoïstes intervenant à l’usine Jasic, sont révélateurs de tels courants latents. Sous l’effet d’un choc (le plus plausible serait un choc international), la classe ouvrière chinoise pourrait se mobiliser et ces courants, latents, pourraient devenir apparents. La nécessité d’un parti sera vitale pour intervenir avec un programme transitoire permettant de donner une perspective à cette couche, et commencer le travail de réimplanter le bolchévisme et d’apporter la conscience de leur puissance et de leurs tâches historiques au prolétariat chinois, dont la première est de chasser la bureaucratie et de mettre hors d’état de nuire les forces contre-révolutionnaires qui tenteront, avec l’aide des impérialistes, de restaurer le capitalisme. Alors que Trotsky pouvait parler comme tâche pour les trotskystes en URSS de « travail préparatoire », la seule chose qu’on peut faire, c’est, encore et toujours, le maintien de principes, à l’extérieur pour le moment.
Quelques principes
Face aux menaces et tentatives des impérialistes US d’ endiguer l’État ouvrier déformé chinois, la bureaucratie chinoise est obligée de mobiliser un minimum politiquement les ouvriers et la population. Tout le monde en Chine connaît l’assassinat des Noirs aux USA ou la misère des sans-abris, les émeutes dans les banlieues ou les Gilets en jaune en France, le génocide des Palestiniens par l’État sioniste israélien et la répression des manifestants pro-Palestiniens, etc. Si la bureaucratie dénonce, elle inculque aussi aux ouvriers à ne pas intervenir pour tenter de changer cette situation. Que l’État ouvrier déformé chinois ait une diplomatie et négocie avec les impérialistes est logique (Lénine et la Russie soviétique le faisait évidemment), mais que le PCC ne cherche pas à construire des partis communistes dans les autres pays pour y intervenir, cela tient du stalinisme et de sa politique de « socialisme dans un seul pays ». Lénine demandait aux communistes allemands de chercher à renverser les capitalistes allemands avec lesquels il négociait à Brest-Litovsk. Les ouvriers chinois, horrifiés par les méfaits des impérialistes comprendraient parfaitement ce point, qui est la base de l’internationalisme prolétarien que le PCC a renié. En cas d’explosion sociale aux USA ou ailleurs, ce point serait encore plus facile à expliquer.
Xi Jinping fait grand cas de sa lutte contre la corruption, un serpent de mer. Tout le monde sait qui est corrompu, à tous les niveaux. Tant que la bureaucratie détiendra tous les pouvoirs, c’est-à-dire que tant qu’il y aura des privilèges réservés à une minorité (même importante), il y aura automatiquement la corruption. Et toute dénonciation (hors des batailles inter-bureaucratiques) ne peut avoir que des conséquences fâcheuses pour son ou ses auteurs, puisque tous les corrompus auront tendance à défendre leurs privilèges (petits ou grands). Seule la mise en place d’une société égalitaire permettra de régler une fois pour toute le problème de la corruption. Pour y parvenir, il faut que les fonctionnaires soient élus et révocables à tout moment, et qu’ils n’aient pas de privilèges particuliers liés à leur position afin que la corruption soit immédiatement éliminée. Cela n’est possible que si la classe ouvrière établit les soviets et la démocratie soviétique à travers une révolution politique qui éliminera la caste parasitaire.
Quant aux capitalistes chinois (et aux entreprises d’État), dont une bonne partie travaille pour l’exportation et connaît le milieu des affaires occidental, ils sont bien placés pour savoir que l’environnement et l’encadrement en Chine leur est, pour le moment, beaucoup plus favorable, et qu’à tout faire, jongler avec la corruption et être sous la menace du PCC et du gouvernement chinois est beaucoup moins risqué et désagréable que d’être sous la menace des crises et de la banqueroute en Occident. Ce sont d’ailleurs les capitalistes occidentaux qui viennent aujourd’hui à eux et sont demandeurs de joint-ventures dans des domaines pour lesquels ils ont pris du retard ou pour maintenir leur chiffre d’affaires et leurs profits. Et la paix sociale assurée par la bureaucratie leur est tout aussi nécessaire et favorable.
Sur le « socialisme de marché », il n’est pas compliqué de se rendre compte de la gabegie que cela représente, et il n’est pas besoin d’être trotskyste pour le constater. Par contre, il faut être trotskyste pour expliquer pourquoi la planification basée sur les soviets et la démocratie ouvrière sont le seul moyen de démultiplier le développement de la Chine ouvrière. Dans un pays qui n’a jamais eu de soviets et qui a toujours connu une planification (totale ou partielle) complètement bureaucratique, il faudra réintroduire ce que les bolchéviks avaient fait juste après la révolution (et qui avait été popularisé par le PCC à sa naissance en 1921). Et les conditions d’aujourd’hui, avec la digitalisation, les data centers et l’IA, faciliteront grandement la tâche. Si celle-ci semble relativement simple elle demande tout « simplement » une révolution politique.
Paris, le 5 juin 2025
