Où va la LCI ?
Préambule
Ce texte fait partie d’une tentative pour comprendre la crise que traverse la LCI depuis 2020 et où va la LCI. D’autres textes et documents à venir tenteront d’expliquer le très long processus qui y a mené. Mais il est clair que la rupture programmatique sur la question nationale de la conférence de 2017 a été un tournant qualitatif et que la crise de 2020 n’en est qu’une suite logique et naturelle.
La bataille qui s’est déroulée en 2017 était le fruit d’un concours de circonstances ayant amené des protagonistes aux appétits totalement différents à s’allier. D’une part la secrétaire du Secrétariat international (SI), Coelho. D’autre part de jeunes nationalistes québécois recrutés quelques temps auparavant au Canada. L’objectif de Coelho était de se débarrasser des anciens cadres de la SL/U.S., « la vieille garde », pour avoir les coudées plus franches pour mettre en place ce qui allait se révéler (très rapidement et brièvement) de nouveaux raccourcis et de nouvelles capitulations. Quand, fin 2016, les jeunes Québécois ont remis en cause la ligne de la LCI sur la question nationale au Québec, puis se sont mis à attaquer à bras raccourcis les positions théoriques et historiques de la LCI sur la question nationale ainsi que ses initiateurs de la « vieille garde », la secrétaire du SI a immédiatement flairé « la bonne occase ». Elle a mis toute son autorité, son énergie, sa puissance politique et organisationnelle pour mobiliser et rallier la LCI derrière les positions nationalistes québécoises de ces jeunes révisionnistes. Obnubilée par son objectif (qu’elle a très facilement atteint vu l’état de déliquescence politique de la LCI), elle a libéré les loups dans la bergerie, les a encouragés, pensant sans doute les remettre très facilement en cage une fois leur besogne accomplie.
Le SI bicéphale issu de cette conférence s’est auto-proclamé, à grand renfort d’affirmations tonitruantes dans les Spartacist, être la garantie de la « continuité de la LCI », l’assurance de la fin de la « domination de la SL/U.S. et de l’anglo-chauvinisme » dans la LCI, la fondation consciente d’une « direction collective internationaliste », etc. Fruit d’un accord conjoncturel imprincipiel, cette direction a ouvertement volé en éclat début 2020. Coelho s’est fait croquer à son tour par les loups alors qu’elle essayait de mettre en place dans la SL/U.S. son propre programme opportuniste (par rapport à la pandémie) dans le dos de ses petits camarades du « collectif international ».
Les nationalistes québécois vont ensuite prendre le temps pour assurer, patiemment, leur prise en main « programmatique » et organisationnelle de la LCI en agglomérant petit à petit autour d’eux les quelques forces encore vives. Le problème essentiel pour eux était bien sûr de gagner la plus grande partie de la SL/U.S. (ou en tout cas de la contrôler), car elle demeurait majoritaire absolue au sein de la LCI et était son centre historique et financier. Au bout de deux ans, le but semble avoir été finalement atteint au début de cette année avec la conférence de la SL/U.S.. Maintenant, le gouvernail fermement en main, ils peuvent officialiser quasi ouvertement le développement du reste de leur programme révisionniste et la rupture de la LCI avec le programme trotskyste, pour « adapter » le programme de transition à « une nouvelle réalité », un grand classique chez tous les ex-trotskystes. Il suffit de comparer le Spartacist en allemand, paru fin avril, après la conférence de la SL/U.S., avec les autres pour le constater. Les « nouveautés » programmatiques et tactiques notables depuis plusieurs mois vont aller en s’accélérant. Des « nouveautés » qui ne sont qu’un vulgaire et classique recyclage de tous les raccourcis, postures, révisions et autres capitulations dont l’histoire du mouvement révolutionnaire est truffée.
* * *
La conférence de 2017 s’est targuée de préserver la continuité de la LCI, après avoir soi-disant rectifié le point qu’elle a déterminé être fondamental, la question nationale. La conférence a dénoncé et répudié les prises de position et articles de la TLC qui n’appelaient pas à l’indépendance du Québec. Puis, à partir du strict problème du Québec, elle a étendu sa répudiation aux articles de Seymour des WV n°123 et n°125 (« Les marxistes et la question nationale ») et n°150 (« Lénine contre Luxemburg sur la question nationale ») qui donnaient les bases marxistes sur la question nationale à la TSI/LCI. Les Spartacist (le n°43 en français) ont publié les points essentiels du document de cette conférence.
Le point III de ce document est considéré par la LCI d’aujourd’hui comme le « cadre théorique » de sa répudiation de l’ancienne ligne historique de la LCI sur la question nationale. L’appel à l’indépendance nationale est devenu théoriquement une obligation, la LCI ayant répudié la position historique d’un appel conjoncturel, déterminé par les circonstances. Le présent texte se limite à démontrer comment les prétentions théoriques de cette conférence de 2017, sur la question nationale, ne sont qu’une vaste mascarade. Bien sûr tous les changements de positions pris par cette conférence doivent être revus un à un étant donnée la base nationaliste sur laquelle ils ont été effectués.
On ne peut s’empêcher cependant de constater qu’à l’occasion du premier test historique sur la question nationale, avec la guerre en Ukraine et la question de l’autodétermination des régions russophones dans le Donbass, la nouvelle direction de la LCI s’est tout simplement assise sur ses soi-disant principes. Elle a en effet décidé que c’était, dans ce cas précis, … conjoncturel. La LCI refuse de défendre concrètement leurs droits à l’autodétermination, à la séparation de l’Ukraine et à leur rattachement à la Russie (le tout en une seule minuscule phrase, en février 2022!). La LCI a même été jusqu’à faire disparaître son ancienne position « la Crimée est russe ! ».
La (mauvaise) position de la LCI dans cette guerre a une logique centrale : ne pas paraître pro-Russie auprès du marais, massivement pro-Otan. Si elle n’est surtout pas pour la victoire militaire de la Russie, elle ne peut non plus être pour la victoire de l’Otan. Elle a donc opté pour être neutre. Bien sûr, pour faire « réééévolutionnaire », elle a peinturluré sa position de neutralité avec le « défaitisme », une posture « défaitiste » qui ne résiste pas une seconde. Il suffit d’examiner les déclarations de la LCI et les journaux/tracts/panneaux de sections parus pour constater que si elle dénonce à pas cher l’UE et l’Otan, elle n’appelle jamais, même de façon propagandiste, les classes ouvrières des pays dans lesquels elle intervient (l’énorme majorité étant les pays impérialistes – en particulier US – qui interviennent dans cette guerre avec l’armée ukrainienne agissant par procuration) à agir concrètement contre leur propre bourgeoisie – bloquer les usines d’armement, le transport d’armes, etc. –, se cachant derrière son petit doigt en délégant cette tâche aux prolétariats de Russie et d’Ukraine. Or la lutte contre sa propre bourgeoisie, a fortiori son propre impérialisme, est le fondement d’une organisation se réclamant « défaitiste » et luttant concrètement contre le pacifisme.
La position de la LCI est d’autant plus capitularde que les impérialistes étatsuniens ne font pas mystère, dans leurs rêves meurtriers, que leur véritable cible n’est pas la Russie, mais l’État ouvrier déformé chinois. La position de neutralité de la LCI dans cette guerre en Ukraine révèle que le point programmatique de la « défense inconditionnelle de la Chine contre les impérialistes » est tout à fait rhétorique et qu’il ne sera (peut-être) mis en pratique que dans les quelques secondes après la confirmation « officielle » du lancement des missiles nucléaires US contre la Chine. Il est amusant de constater que la LCI a une position similaire (pour des raisons différentes, bien sûr) à la bureaucratie chinoise dont la neutralité est liée à sa politique stalinienne de coexistence pacifique avec les impérialistes.
Alors que l’impérialisme US approche du point de bascule où il va perdre sa position hégémonique sur le monde, sa défaite (et celle de tous ses alliés) en Ukraine serait un accélérateur dans un processus qui va ouvrir une période historique nouvelle et inédite, et dans laquelle les cartes seront rebattues et des ouvertures se feront pour la classe ouvrière. Ni neutres, ni défaitistes, les révolutionnaires doivent tout faire, dans la mesure de leurs moyens, pour la défaite des impérialistes et de ceux qui agissent pour eux par procuration en Ukraine. Sans que cela implique un quelconque soutien politique à Poutine comme quand Trotsky appelait à la victoire de l’Éthiopie (du Négus !) face à l’Italie en 1937.
Que la LCI considère cette guerre comme une simple « guerre régionale » pour couvrir son neutralisme n’est pas surprenant. Mais la guerre en Ukraine met en lumière que les principes théoriques sur la question nationale de la nouvelle direction de la LCI, proclamés invariables, se révèlent totalement dépendants des circonstances, et … variables. C’est le propre des principes chez les opportunistes.
On peut par contre parier que s’il y a un endroit où les principes de 2017 resteront intangibles, ce sera … au Québec.
Conférence de 2017 : le tournant nationaliste de la LCI
Dans la conférence de 2017, la question nationale a été l’angle d’attaque sur lequel ont concordé la secrétaire du SI et les jeunes nationalistes québécois utilisés comme fer de lance dans cette bataille, et récompensés par un catapultage dans les plus hautes instances de la LCI. Le résultat programmatique de cette bataille est retranscrit fidèlement dans les Spartacist (n°43 en français) rapportant cette conférence : la LCI construit des partis devant être «  le champion de la lutte contre l’oppression nationale ». En modifiant le but des partis léninistes, cette conférence a entamé la rupture programmatique officielle de la LCI avec le léninisme et le trotskysme. Il n’est pas anodin de constater qu’elle commence par une capitulation au nationalisme dans une période de « déglobalisation » marquée, depuis plusieurs années, par un retour massif des politiques nationalistes, populistes, protectionnistes, souverainistes et autres.
Aussi est-il important de réaffirmer : le fondement des partis léninistes, c’est d’être les champions de la lutte de classe et de la révolution prolétarienne, seuls moyens de lutter, si l’on veut ne regarder que sous ce seul angle, contre l’oppression nationale et d’y mettre fin définitivement.
Mise en garde sur les méthodes de discussion de la LCI
Une des caractéristiques de l’article de Spartacist et, de façon générale, de la manière de « discuter » dans la LCI depuis plusieurs années, est la prolifération de caractérisations exagérées et outrancières, de caricatures, de déformations d’arguments, souvent vidés de leurs nuances et même de leurs sens, voire carrément falsifiés ou recréés à partir de morceaux de phrases découpés par ci par là, de faits sortis de leurs contextes, de mensonges par omission, etc.
Exemple. Dans la partie pour répudier les articles de WV de Seymour de 1976 on trouve cette accusation grave :
Ce que dit le paragraphe en entier de Seymour d’où est tiré cette phrase :
Comme on peut le voir, ce que fait dire la conférence à Seymour n’a strictement rien à voir avec ce que disait Seymour (qui, par ailleurs résume parfaitement les positions de Lénine). Pour faire cela est utilisé le classique stratagème du découpage d’un morceau de phrase qu’on met hors contexte (ici en faisant disparaître le choix fait pour la coexistence!). L’entièreté de la répudiation des articles de Seymour de 1976 est basée sur de telles méthodes. L’objectif de cette conférence n’était ni de « discuter » ni d’«analyser » pour clarifier ou expliquer, il était de salir et de condamner.
Dès le début de l’article, deux autres grosses ficelles du même acabit sont utilisées. La première est de mettre des citations de Robertson dont le seul but, à défaut d’avoir un réel intérêt, est de faire acte d’autorité en indiquant que le fondateur et dirigeant historique de la LCI soutiendrait la critique des articles de Seymour. La deuxième ficelle est de suggérer que les articles de Seymour seraient une couverture et une extension théorique d’un article « raciste ». En caractérisant cet article, paru dans Spartacist Canada (n°8, septembre 1976), de « raciste », le SI mettait tout de suite en garde pour faire réfléchir dans le bon sens (le sens du SI). Et bien sûr Robertson est une nouvelle fois adroitement appelé à la rescousse pour faire comprendre qu’envisager de défendre les articles de Seymour revient à soutenir un « article raciste » et être accusé d’une des pires infamies dans le mouvement ouvrier !
Pour coller cette étiquette raciste sur cet article sur la lutte des aiguilleurs du ciel québécois de 1976 demandant de pouvoir travailler en français, une phrase, montrant les conséquences désastreuses d’une telle position pour les pilotes et passagers des avions, a été déformée et montée en épingle par les jeunes nationalistes, avec le soutien du SI. Ils accusaient la section canadienne d’avoir considéré suffisant de traduire les étiquettes des bocaux de cornichons en français. Il suffit de relire ledit article pour voire la supercherie.
Le but de tous ces stratagèmes est de choquer suffisamment le lecteur pour qu’il ne pense pas que cela vaille la peine de vérifier les déclarations et citations. Comme on va le voir, quasiment à chaque ligne de l’article, on retrouve des falsifications, des transformations et des mensonges tellement grossiers qu’il faudrait une brochure pour les rectifier. Seuls les points principaux sont abordés ici.
Bien sûr, deux questions seront à résoudre avec un tel constat : comment des cadres, souvent avec une expérience dans le mouvement ouvrier de plusieurs décennies, ont pu en arriver à accepter de telles méthodes ? Comment la nouvelle direction de cette organisation qui a été dirigée pendant plus de 40 ans par des cadres centraux dont les conceptions seraient « racistes », « assimilationnistes », « génocidaires », « revanchistes », etc. sur un point du programme qu’elle considère maintenant comme central, comment peut-elle se considérer comme en étant « la continuité » ?
* * *
La LCI grime Marx, Engels et Lénine en nationalistes
La révision nationaliste des positions marxistes sur la question nationale traverse tout l’article. L’objectif de Marx, Engels et Lénine était la révolution socialiste mondiale, seul moyen de libérer les classes ouvrières et tous les opprimés de l’exploitation et de l’oppression. Pour parvenir à ce but, il fallait des partis révolutionnaires pour guider les classes ouvrières afin de renverser les capitalistes par des révolutions. La question vitale était d’unifier ces classes ouvrières, en particulier dans les États multinationaux. La rupture programmatique de la LCI avec Marx, Engels et Lénine se situe là : l’unification de la classe ouvrière n’est à aucun moment de cette conférence un objectif, encore moins une préoccupation.
Pour coller à la nouvelle vision nationaliste, la Révolution bolchévique est simplement révisée : « La Révolution russe, qui a démontré de façon vivante que la question nationale peut être une force motrice de la lutte révolutionnaire ». Non, la Révolution russe a montré que pour arriver à faire la révolution prolétarienne, il fallait unifier la classe ouvrière de Russie. Cette unification a été possible parce que le parti bolchévique, sous l’impulsion de Lénine, s’est toujours battu pour faire reconnaître par les ouvriers russes le droit à l’autodétermination et à la séparation des nations opprimées par le chauvinisme grand-russe. Pour y arriver, Lénine a toujoursmené une bataille contre le nationalisme des Grand-russes. Mais il a aussi lutté contre le nationalisme des nations opprimées. Car tous les nationalistes divisent et morcellent la classe ouvrière en tentant de limiter la lutte des ouvriers de chaque nationalité à une lutte centralement et uniquement dans un cadre national. Le parti bolchévique a su utiliser l’énergie engendrée par la question nationale pour faire sauter les freins que tous les nationalismes et tous les nationalistes représentaient. C’est pour faire sauter ces freins que Lénine était intransigeant pour gagner les ouvriers russes à reconnaître le droit de toutes les nations de l’empire tsariste à s’autodéterminer, jusqu’à se séparer, et tout aussi intransigeant dans sa lutte contre les nationalistes de ces nations.
Le passage de Spartacist consacré à Engels et Marx sur l’Irlande montre le mieux la démarche et la ligne nationaliste des impulseurs Québécois de cette bataille dans la LCI. Ignorant (dans tous les sens du terme) les positions internationalistes de Engels et Marx, ils affirment « Marx et Engels se sont battus pour l’indépendance de l’Irlande comme fin en soi et ils étaient étroitement associés aux Fenians sur le plan politique. », en polémiquant contre Seymour, accusé pour le coup d’anglo-chauvinisme.
Or Seymour dit « La question anglaise était donc importante pour Marx, non seulement parce que la révolution anglaise était stratégiquement importante, mais aussi parce que la contradiction entre le caractère avancé de la société anglaise et le retard politique du prolétariat remettait en question toute la vision du monde de Marx ». Seymour explique très clairement les positions de Marx, surtout après son changement de position à la fin des années 1860, avec une longue citation de sa lettre à S. Meyer et A. Vogt du 9 avril 1870 qui est on ne peut plus claire. Marx pense dorénavant que le seul moyen de hâter la révolution en Angleterre, stratégique pour la révolution ouvrière en Europe et dans le monde, est de hâter la révolution irlandaise. L’accusation de la conférence contre Seymour se retourne contre elle : ce n’est pas Seymour qui a déformé Marx et Engels par anglo-chauvinisme, c’est la LCI qui déforme Marx et Engels par nationalisme.
Marx et Engels luttaient pour la révolution internationale
Comme l’affirme Seymour (à la grande horreur des nouveaux dirigeants nationalistes de la LCI), Engels et Marx voyaient bien la révolution en Irlande comme un levier sur le prolétariat anglais afin de le décrocher de sa bourgeoisie et de libérer sa puissance sociale pour aller vers une révolution ouvrière qui débarrasserait l’Europe et le monde de la principale puissance capitaliste (voir les articles « Conseil général au conseil fédéral de Suisse romande », Marx, 1er janvier 1870, « Lettre à Laura et Paul Lafargue », Marx, 5 mars 1870). Spartacist essaie de dépeindre Engels et Marx comme les meilleurs combattants de la libération de l’Irlande en soi, effaçant tout simplement leur vision internationale et leur internationalisme prolétarien. De ce point de vue, ce n’est pas l’article de Seymour que la conférence de la LCI de 2017 aurait du répudier pour soi-disant « anglo-chauvinisme », mais toutes les positions historiques d’Engels et Marx !
Quant aux Fenians, il suffit de lire en entier la lettre de Marx à Engels du 30 novembre 1867 (dont une partie est citée dans le Spartacist) ou la lettre d’Engels à Bernstein du 26 juin 1882 pour voir qu’il n’y avait aucune proximité politique avec les dirigeants Fenians. Bien sûr Marx et Engels ont défendu de façon ardente les Fenians, au sein de la classe ouvrière d’Angleterre, contre la répression ou les assassinats par les colonialistes anglais. Mais sous-entendre une coloration ou une proximité nationaliste de Marx et Engels est une falsification illustrant parfaitement les propres appétits de la nouvelle direction de la LCI.
On retrouve cette même incompréhension de la vision internationale et internationaliste de Marx et Engels sur la Pologne et, surtout, l’Allemagne. Spartacist assassine Seymour en l’accusant de faire passer Marx et Engels pour des « revanchistes allemands ». Plus qu’un long développement pour démontrer que l’obligation de défendre à tout prix l’indépendance de tous les pays dominés amène la nouvelle LCI en contradiction avec Marx et Engels, l’examen des citations de Spartacist est tout aussi éclairant. Le passage où Seymour est critiqué est le suivant :
« À partir de 1848, Marx et Engels furent souvent accusés par leurs opposants dans la gauche d’être des chauvins allemands. Ils le niaient, disant que leur position sur l’unification de l’Allemagne était objective et qu’elle ne reflétait en rien un préjugé nationaliste subjectif. […] Cependant, ce n’est qu’en 1870 qu’ils eurent l’occasion de donner la preuve manifeste qu’ils n’étaient pas des chauvins allemands. »
Le petit morceau de phrase de Seymour supprimé (on imagine bien que ce n’est par souci de place qu’il a été supprimé) et remplacé par ces […] dit ceci :
« Une Allemagne unie donnerait un énorme élan au développement économique de l'Europe, et produirait le mouvement ouvrier le plus avancé d'Europe. »
On a là le pur découpage (on peut même parler de ciselage) nationaliste.
Effectivement, Marx et Engels plaçait l’objectif de la révolution ouvrière, donc le développement (« objectif ») de la classe ouvrière, au-dessus de tout, en particulier au-dessus de la revendication d’indépendance nationale pour telle ou telle nation.
Liberté de séparation n’est pas obligation de séparation
Dans sa polémique à charge contre Seymour, enfoui après de longs paragraphes, on trouve l’axe central, avec ces trois affirmations en cinq paragraphes :
« Nous rejetons l’affirmation de ces articles que la question nationale a « historiquement un caractère beaucoup plus conjoncturel et elle est beaucoup plus déterminée par des circonstances empiriques changeantes ». [...]
« En ce qui concerne le programme sur la question nationale, Marx, Engels et Lénine partageaient tous le même principe socialiste élémentaire, à savoir : « un peuple qui en opprime d’autres ne saurait être libre » [...]
« Ces articles n’expriment jamais la moindre solidarité avec les luttes de libération nationale, et encore moins avec le droit des nations opprimées à s’extraire de leur oppression nationale. Il s’agissait ainsi d’un rejet total de l’internationalisme. »
Du principe « Un peuple qui en opprime un autre ne saurait être libre » la LCI en conclut que cette question n’est pas conjoncturelle et que, pour libérer les peuples, opprimés ou oppresseurs, le parti révolutionnaire doit être automatiquement du côté (« solidaire » ou « non indifférent » dans une autre partie de l’article) des opprimés. La LCI se retrouve donc avec une « obligation morale » de soutenir automatiquement toutes les revendications de séparation d’une nation ou d’un peuple opprimé. Ceci est en parfaite adéquation avec le nationalisme, mais n’a rien à voir avec le marxisme.
En effet, ni Marx, ni Engels, ni Lénine ne voyaient le droit à l’autodétermination ou à l’indépendance comme une obligation pour le parti révolutionnaire. Les intérêts de la classe ouvrière et la perspective de favoriser la révolution ouvrière était toujours l’élément décisif pour déterminer leur position, ce qui rendait bien « conjoncturel » leur soutien ou non à l’appel à la séparation d’une nation au sein d’un État. Parmi les nombreuses citations de Lénine, on a celles-ci :
« Mais la reconnaissance inconditionnelle de la lutte pour la liberté d’autodétermination ne nous oblige pas du tout à soutenir n’importe quelle revendication d’autodétermination nationale. La social-démocratie, en tant que parti du prolétariat, se donne pour tâche positive et principale de coopérer à la libre détermination non pas des peuples et des nations, mais du prolétariat de chaque nationalité. Nous devons toujours et inconditionnellement tendre à l’union la plus étroite du prolétariat de toutes les nationalités, et c’est seulement dans des cas particuliers, exceptionnels, que nous pouvons exposer et soutenir activement des revendications tendant à la création d’un nouvel État de classe ou au remplacement de l’unité politique totale de l’État par une union fédérale plus lâche, etc. »
– Lénine, « La question nationale dans notre programme », 15 juillet 1903, t.6, p.475
et :
« Partout où nous voyons des liens de contrainte entre des nations, nous défendons résolument et inconditionnellement, sans prêcher le moins du monde la sécession obligatoire de chaque nation, le droit pour chacune d’elles de déterminer librement son destin politique, c’est-à-dire de se séparer. »
– Lénine, « A propos de la politique nationale », 19 avril 1914, t.20, p.231
Comme pour Marx et Engels, la principale préoccupation de Lénine est comment faire avancer l’unité prolétarienne pour arriver à la révolution ouvrière.
L’indépendance nationale étant devenue une priorité absolue pour la LCI, il n’est pas surprenant de constater qu’évaluer la question nationale dans la perspective de faire la révolution ouvrière n’est même pas effleurer dans le « cadre théorique » que le document de conférence donne.
Falsification sur Lénine et le droit à la séparation
Passant allègrement d’un cas particulier (le Québec) à une généralisation sur la question nationale, le Spartacist fait à nouveau croire que Lénine était obligatoirement pour la séparation.
« L’article de WV n° 123-125 introduit une fausse dichotomie entre « la réalisation dans les faits » de la séparation (chez Marx) et la simple « revendication du droit à l’auto-détermination » (chez Lénine) : « pour Lénine, la question de savoir si l’indépendance se réaliserait ou non n’était pas une question fondamentale; elle était secondaire. » Cette fausse opposition servait de couverture pour notre opposition pure et simple à l’indépendance du Québec et revenait, en pratique, à nier le droit à l’autodétermination. Ceci va clairement à l’encontre des écrits de Lénine sur l’insurrection de Pâques de 1916 à Dublin et sur la séparation de la Norvège en 1905 :
« Cet exemple [la Norvège] démontre effectivement l’obligation pour les ouvriers conscients de se livrer à une propagande et à une préparation systématiques afin que les conflits éventuels entraînés par le problème de la séparation de nations soient résolus uniquement comme ils le furent en 1905 entre la Norvège et la Suède, et non “à la russe”. »
– Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes
Voilà qui tranche avec la supposée indifférence de Lénine sur la question de l’indépendance. »
Dans sa polémique contre Luxemburg, Lénine rappelle qu’il était pour que les révolutionnaires soutiennent la séparation de la Norvège, réclamée par toute la nation norvégienne – avec la classe ouvrière mais aussi les bourgeois, les petits-bourgeois et … le roi. Dans le passage précis cité par Spartacist, son point est qu’une telle séparation est possible si les deux côtés (bourgeois) l’acceptent, évitant une guerre. Mais on peut voir la vision étroitement nationaliste de la LCI en poursuivant le texte de Lénine. Quelques paragraphes plus loin, il explique :
« L’alliance étroite des ouvriers norvégiens et suédois, leur entière solidarité fraternelle de classe a gagné à cette reconnaissance – par les ouvriers suédois – du droit des Norvégiens à se séparer. Car les ouvriers de Norvège se sont convaincus que les ouvriers de Suède n’étaient pas contaminés par le nationalisme suédois, qu’ils plaçaient la fraternité avec les prolétaires norvégiens au-dessus des privilèges de la bourgeoisie et de l’aristocratie suédoise. […] Les ouvriers suédois ont démontré qu’à travers toutes les péripéties de la politique bourgeoise – un retour à la subordination des Norvégiens aux Suédois par la force est parfaitement possible sur le terrain des rapports bourgeois ! – ils sauront maintenir et sauvegarder la complète égalité des droits et la solidarité de classe des ouvriers des deux nations dans la lutte contre la bourgeoisie suédoise et contre la bourgeoisie norvégienne. »
L’objectif de Lénine n’est pas l’indépendance de la Norvège comme fin en soi (comme le revendiquent les nationalistes), mais la solidarité prolétarienne permettant d’envisager ensuite des révolutions ouvrières, dans les deux pays ! C’est pour cette raison qu’il n’était pas « indifférent » à l’indépendance de la Norvège. Et ici, on comprend la fausseté de l’accusation d’« indifférence à la lutte de libération nationale » portée contre les article des WV n°123 et n°125.
Falsification sur Lénine et l’autonomie
Spartacist a cette polémique surprenante :
« Lénine a mené une bataille contre les partisans de l’économisme impérialiste, y compris les sociaux-démocrates polonais, qui argumentaient qu’« en régime capitaliste, la libre disposition est impossible, en régime socialiste, elle est superflue » (« Une caricature du marxisme et à propos de l’“économisme impérialiste” », 1916). L’article de WV n° 123-125 mine les polémiques principielles de Lénine contre Luxemburg en affirmant faussement que, comme Luxemburg, « il était opposé au fédéralisme et en faveur d’une autonomie régionale limitée pour les nations minoritaires dans un État unique » (souligné par nous). De plus, l’article soutient l’assimilation des nations opprimées par les nations oppressives sous le capitalisme impérialiste. »
Seymour ne mine rien du tout. On a déjà vu dans la mise en garde le mensonge que représente la toute dernière phrase. Sur l’autonomie, nos nationalistes, obnubilés par l’indépendance à tout prix, se fourvoient lamentablement. Lénine était très clair :
« Nous réclamons une absolue égalité en droits pour toutes les nations au sein de l’État et une sauvegarde absolue des droits de chaque minorité nationale. Nous réclamons de larges pouvoirs administratifs et l’autonomie pour les régions, dont les limites doivent être fixées en tenant compte notamment du critère national. »
– Lénine, « Projet de plate-forme pour le IVème congrès », 7 juin 1913, t.19, p.113
« Toutes les régions de l’État qui se distinguent par des particularités dans le mode de vie ou par l’effectif national de leur population doivent bénéficier de larges pouvoirs administratifs propres et de l’autonomie, jouir d’institutions basées sur le suffrages universel et égal, à scrutin secret. »
– Lénine, « Thèses sur la question nationale », juin 1913, t.19, p.258
« Nous sommes pour l’autonomie pour toutes les parties, nous sommes pour le droit à la séparation (et non pas pour la séparation de tous!). L’autonomie c’est notre plan d’organisation d’un État démocratique. La séparation n’est pas du tout notre plan. Nous ne prônons nullement la séparation. Dans l’ensemble, nous sommes contre la séparation. Mais nous sommes pour le droit à la séparation, à cause du nationalisme grand-russe réactionnaire, qui a tellement souillé la cause de la cohabitation nationale que, parfois, il y aura davantage de liens après une libre séparation !! »
– Lénine, « Lettre à S. Chaounian », 6 décembre 1913, t.19, p.537
Les soi-disant « préjugés raciaux » de Seymour vis-à-vis des Slaves
Au début du point III, juste après avoir expliqué que la présentation de Seymour était l’extension théorique de l’« article raciste » de Spartacist Canada, les auteurs en remettent une couche en accusant de « grossière déformation » la phrase sur les Slaves de l’Ouest et du Sud de l’article de Seymour « Marx et Engels ont élaboré un programme qui revenait au génocide, sinon physique, du moins national des Slaves de l’Ouest et du Sud dans l’intérêt des peuples démocratiques ou progressistes », ajoutant à bon escient « L’approche de Marx et Engels envers les Slaves n’était pas basée sur des préjugés raciaux. »
Bien sûr les soi-disant « préjugés raciaux » sont ajoutés (et inventés) dans le seul but d’empêcher toute clarification et pour jeter l’opprobre, puisqu’il n’y a aucune explication. S’ensuit une longue citation de Lénine, expliquant et approuvant les positions de Marx et Engels. Là encore, Seymour ne déformait en rien leurs positions. Spartacist joue cyniquement avec le mot « génocide » pour lequel Seymour a même pris la précaution de préciser « sinon physique ». Il suffit de regarder un peu ce que Marx et Engels écrivaient pour confirmer Seymour :
« On exige de nous et des autres nations révolutionnaires d’Europe que nous assurions, juste à notre porte, aux troupeaux de la contre-révolution, une existence sans entraves, le droit de conspirer et de porter librement les armes conte la révolution ; nous devrions constituer, en plein cœur de l’Allemagne un royaume tchèque contre-révolutionnaire et briser la puissance des révolutions allemande, polonaise et hongroise en glissant au milieu d’eux des avant-postes russes sur l’Elbe, dans les Carpates et sur le Danube.
« Nous n’y pensons point. A toutes les phrases sentimentales sur la fraternité qui nous sont proposées au nom des nations les plus contre-révolutionnaires d’Europe, nous répondons que la haine des Russes était et est encore pour les Allemands, la première passion révolutionnaire ; que depuis la révolution, la haine des Tchèques et des Croates s’y est ajoutée et que, en communauté avec les Polonais et les Hongrois, nous ne pouvons affermir la révolution que par le terrorisme le plus déterminé contre les peuples slaves. Nous savons maintenant où se regroupent les ennemis de la révolution : en Russie et dans les pays slaves de l’Autriche ; et nulle phrase, nulle promesse d’un vague avenir démocratique de ces pays ne nous empêchera de traiter nos ennemis en ennemis.
[…]
Quand le panslavisme révolutionnaire prend ces paroles [de Bakounine] au sérieux et qu’il écarte la révolution dès qu’il s’agit de la chimérique nationalité slave, nous aussi nous savons ce qu’il nous reste à faire.
Ce sera alors la lutte, la « lutte à mort et impitoyable », contre les Slaves traîtres à la révolution ; la guerre d’extermination et le terrorisme sans merci – non dans l’intérêt de l’Allemagne, mais pour la révolution ! »
– F. Engels, « Le panslavisme démocratique », 14 février 1849
« Nous devons travailler à la libération du prolétariat d’Europe occidentale et nous devons subordonner tout le reste à ce but. Et les Slaves des Balkans, etc., peuvent bien être tout aussi dignes d’intérêt, à partir du moment où leur désir de libération entre en conflit avec l’intérêt du prolétariat, ils peuvent aller au diable ! Les Alsaciens sont également opprimés, et je serai bien content si nous nous en débarrassons enfin. Mais si, à la veille d’une révolution qui visiblement s’approche, ils provoquaient une guerre entre la France et l’Allemagne, s’ils voulaient à nouveau exaspérer ces deux peuples, ajournant ainsi la révolution, je leur dirai : Halte-là ! Vous aussi vous pouvez patienter tout autant que le prolétariat européen. Si celui-ci se libère, vous serez libres du même coup, mais en attendant, nous ne souffrirons pas que vous fassiez obstacle au prolétariat en lutte. De même pour les Slaves. La victoire du prolétariat les libérera effectivement et nécessairement, et non en apparence et temporairement comme le ferait le tsar. »
– F. Engels, « Lettre à Eduard Bernstein », 22/25 février 1882
Avec ces longues citations, on voit parfaitement que Seymour ne falsifiait rien du tout, et que la vision nationaliste des nouveaux dirigeants de la LCI est aux antipodes d’Engels.
La nouvelle LCI contre Lénine sur les lois linguistiques au Québec
La nouvelle position de la LCI sur le français au Québec rompt clairement avec Lénine qui cherchait toujours à unifier la classe ouvrière et à lutter contre sa division. Dans la polémique au vitriol de Spartacist contre le Spartacist Canada n°2 (novembre 1975), l’objectif d’unifier la classe ouvrière du Canada est totalement absent – le Canada (et sa classe ouvrière, anglophone ou non) est d’ailleurs tout aussi totalement absent ! La défense des droits de la nation opprimée nécessite l’unité de la classe ouvrière de tout le Canada. Sous prétexte de mesure « défensive quant à l’existence même de la nation opprimée », la nouvelle LCI, sur la question de la langue française, prend la position d’un soutien critique aux lois linguistiques des nationalistes bourgeois québécois, la critique étant que le bilinguisme anglo-français est un compromis : « Nous sommes contre le bilinguisme «  officiel » au Québec, qui représente une politique d’assimilation forcée contre la nation québécoise. » Le programme de la nouvelle LCI pour « l’intégration » des immigrés au Québec explicite parfaitement sa conception puisque, face à l’imposition de la langue anglaise, elle est pour interdire l’anglais et imposer la langue française : « Nous sommes en faveur du fait que les immigrants au Québec s’intègrent en apprenant le français. Comme avec l’anglais aux États-Unis, nous demandons des programmes bilingues gratuits et de qualité en tant que méthode rationnelle pour aider les élèves immigrants à faire la transition entre leur langue maternelle et le français. » Le seul bilinguisme toléré par les nationalistes québécois de la nouvelle LCI est de permettre aux enfants d’immigrés de parler leur langue maternelle (même s’ils viennent d’un pays anglophone ?), parce que c’est mieux pour les « intégrer » à la nation québécoise. Signalons en passant qu’interdire l’apprentissage de l’anglais représente une tentative d’emprisonner les enfants d’immigrés au Québec, en les empêchant de « progresser dans l’échelle sociale », comme le dit la la nouvelle LCI elle-même, et de leur permettre de trouver plus facilement un emploi hors du Québec, dans le reste de l’Amérique du Nord (ou ailleurs).
Pour justifier cela, la nouvelle LCI fait un tour de passe-passe plus que grossier avec Lénine : « C’est pour des raisons semblables que Lénine s’opposait à ce que les minorités nationales se voient imposer l’apprentissage du russe ». Effectivement Lénine luttait contre l’imposition de la langue russe dominante. Mais pas pour sa suppression !
« Et nous désirons, cela va de soi, que chaque habitant de la Russie ait la possibilité d’apprendre la grande langue russe. Il n’y a qu’une seule chose que nous ne voulons pas : la contrainte. »
– Lénine, « Faut-il une langue officielle obligatoire ? », 18 janvier 1914, t.20, p.69.
L’art de faire dire à Lénine ce qu’il n’a jamais dit.
Sur la question des langues, un des principes intangibles de Lénine était « aucun privilège pour aucune langue », un autre étant « pas de langue obligatoire ». Deux principes présents dans les diverses citations de ce même Spartacist, qui est sans doute pour leur application à toutes les langues de la planète, mais pas au français au Québec ! Pour unifier les ouvriers Lénine insiste bien qu’aucune langue ne doit être privilégiée, aucune :
« Un État démocratique doit reconnaître sans réserve la liberté totale des langues maternelles et répudier les privilèges quels qu’ils soient, de l’une de ces langues. Un État démocratique ne saurait tolérer la répression, la mise en tutelle, d’aucune nationalité par une autre, dans aucun domaine, dans aucune des activités publiques.
– Lénine, « A propos de la politique nationale », 19 avril 1914, t.20, p.233
Dans une polémique contre Luxemburg, il met les points sur les « i » :
« On nous dit : en soutenant le droit de séparation, vous soutenez le nationalisme bourgeois des nations opprimées.
[…]
Nous répondons : non, c’est à la bourgeoisie qu’il importe d’avoir ici une solution « pratique », tandis qu’aux ouvriers il importe de différencier les deux tendances sur le plan des principes. Pour autant que la bourgeoisie d’une nation opprimée lutte contre la nation qui opprime, nous sommes toujours pour, en tout état de cause et plus résolument que quiconque, car nous sommes l’ennemi le plus hardi et le plus conséquent de l’oppression. Pour autant que la bourgeoisie de la nation opprimée est pour son propre nationalisme bourgeois, nous sommes contre. Lutte contre les privilèges et les violences de la nation qui opprime ; aucune tolérance pour la recherche de privilèges de la part de la nation opprimée. »
– Lénine, « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes », 1914, t.20, p.434-435
Privilégier une langue divise automatiquement les ouvriers. S’il était présent, Lénine dénoncerait férocement les privilèges de l’anglais « imposé à coups de trique », mais il dénoncerait tout autant les nationalistes québécois de la LCI qui veulent imposer le français « à coups de trique », eux aussi.
Concernant le système scolaire et l’apprentissage des langues, on retrouve la même absence de préoccupation de la LCI pourl’unification des ouvriers du Québec et du Canada, typique des nationalistes. Lénine était farouchement contre la division en écoles selon les nationalités, une mesure nuisible du point de vue du prolétariat, car « cela aboutirait au développement du chauvinisme, alors que nous devons marcher vers l’union la plus étroite des ouvriers de toutes les nations, vers la lutte commune contre tout chauvinisme, contre tout exclusivisme national, contre tout nationalisme » (« A propos de la politique nationale », Lénine, 19 avril 1914 t.20, p.233). Il était de façon intransigeante pour des écoles uniques, regroupant ensemble tous les enfants des différentes nationalités. Pour lui, c’est l’unité de la classe ouvrière qui se forgerait dans ces écoles étatiques uniques. Et dans plusieurs textes (comme « Projet de loi sur l'égalité en droits des nations et sur le défense des droits des minorités nationales »,19 mai 1914, t.20, p.292 ou « Résolution sur la question nationale », septembre 1913, t.19, p.460), il expliquait comment toutes les langues maternelles devaient être apprises dans ces écoles (y compris le russe), même s’il n’y avait qu’un seul élève sur des milliers. Il polémiquait férocement contre les nationalistes qui proposaient des écoles séparées :
« La division scolaire par nationalités dans les limites d’un seul et même État est absolument nuisible du point de vue de la démocratie en général, et des intérêts de la lutte de classe du prolétariat en particulier. C’est précisément à une telle division que se résume le plan, adopté en Russie par tous les partis bourgeois de la communauté juive et par les éléments petits-bourgeois et opportunistes des différentes nations, plan de la prétendue autonomie « nationale culturelle » ou de la « création d’établissements garantissant la liberté du développement national ».
– « Résolution sur la question nationale », septembre 1913, t.19, p.460
Avec sa politique sur le français au Québec, la polémique de Lénine est parfaitement adaptée à la nouvelle LCI ! Bien qu’elle s’en défende, au Québec elle a clairement rejoint le camp des bundistes et autres nationalistes (de « gauche »).
Inutile d’expliquer en quoi la nouvelle politique de la LCI ne peut que repousser tous les ouvriers anglophones et immigrants. Lénine, dans le même texte de septembre 1913 cité dans Spartacist, explique, à propos du « libéral », qu’« il marchande et obtient des féodaux tantôt un privilège, tantôt un autre » et, plus loin, que « la bourgeoisie de toutes les nations cherche en réalité, sous le mot d’ordre de ‘’culture nationale’’, à diviser les ouvriers [...] ». Cela s’applique malheureusement tout autant à la nouvelle politique de la LCI.
Quant à la comparaison avec une guerre entre la Perse ou la Chine contre la Russie tsariste pour justifier le droit des Québécois d’imposer le français aux non francophones, elle laisse pantois. Si le Québec se soulève pour se séparer du Canada, et qu’il y a conflit armé entre les ouvriers du Québec en armes et l’armée canadienne, bien évidemment il faut soutenir cette lutte. Mais pour gagner cette guerre, les ouvriers québécois devront avoir une politique qui amène derrière eux tous les ouvriers, anglophones et autres. Et il est clair qu’une politique d’imposition forcée du français ne va pas amener les ouvriers non-francophones du côté des ouvriers québécois, en premier lieu au Québec. Une politique nationaliste mène sûrement à la défaite, une politique léniniste (« aucun privilège pour aucune langue ») ouvre la voie à une possible victoire.
L’absence de critique du nationalisme
Bien évidemment, il n’est absolument pas surprenant – mais extrêmement révélateur – de constater que, dans tout le Spartacist, rapportant le changement théorique sur la question nationale et les changements de position résultant de l’application de cette nouvelle théorie, à aucun moment il n’y a un début de commencement de critique du nationalisme. Il suffit pourtant de lire les textes de Marx, Engels et Lénine pour comprendre qu’une de leurs préoccupations étaient de lutter contre le nationalisme « sous toutes ses formes » (Lénine, 17 décembre 1913, t.19, p.588), ce « fléau » contre lequel il faut « une lutte intransigeante contre la contamination du prolétariat » (Lénine, 11 décembre 1913, t.19, p.564).
Brunoy
Paris, le 24 Mai 2023
