L’«extrême-gauche»

et la défense inconditionnelle de la Chine

Les organisations du mouvement ouvrier qui considèrent aujourd’hui la Chine comme un État ouvrier se font plutôt rares. Une bonne partie sont des organisations staliniennes qui donnent un soutien politique à la bureaucratie chinoise parce qu’elles partagent les mêmes fondements programmatiques : « révolution par étape » amenant à un soutien aux ailes dites « progressistes » des bourgeoisies, défense du « socialisme dans un seul pays » et de la « coexistence pacifique », etc. Ce qui fait que ces organisations ont toujours prôné à un titre ou un autre la collaboration de classes et le front populisme dans leur pays et ne peuvent offrir aucune perspective viable tant à la classe ouvrière de leur pays qu’à la classe ouvrière chinoise.

La quasi-totalité des organisations se disant trotskystes (tout au moins de celles que nous connaissons) prétendent que la Chine est capitaliste voire, pour certaines, impérialiste. Pour ces organisations il n’y a pas de « défense de la Chine ». Elles sont incapables de comprendre et d’expliquer aux ouvriers ce qui se passe (comme à prédire à chaque crise des pays capitalistes, depuis des décades, que la Chine va s’effondrer elle aussi) et oscillent entre « neutralité » et soutien aux campagnes anti-chinoises de leurs bourgeoisies. Pour celles qui la considèrent non impérialiste, il leur arrive éventuellement de se retrouver, moralement et platoniquement, du côté de la Chine face à l’arrogance des « méchants impérialistes » US et de leurs rivaux. Sans conséquence programmatique. Pour justifier leur rôle de rabatteurs pour les directions en place du mouvement ouvrier et la théorie légitimant leur rôle, elles reprennent et répandent la plupart des stéréotypes anti-communistes déversés par les maîtres impérialistes.

Les dérives de la LCI

Il n’y a guère plus que dans la « famille spartaciste » qu’on trouve historiquement les militants reconnaissant la Chine comme État ouvrier déformé. Depuis son tournant nationaliste de 2017, totalement consolidé après la crise de 2020 et la prise en main par ses dirigeants nationalistes québécois, la LCI a clairement rompu avec le trotskysme. Les premières conséquences programmatiques ont été :

-- l’adoption de la « révolution nationale » comme tache centrale de la LCI au lieu de la « révolution ouvrière »
-- le rejet des programmes transitoires (et du Programme de transition lui-même -- « dépassé » dixit David Vincent [1]) pour de classiques programmes minimums-programmes maximums puis, depuis 2023, de simples programmes minimums sous-économistes à la Bernstein
-- l’objectif principal d’aider l’« extrême-gauche » (rabatteurs depuis des décennies pour les directions ouvrières-bourgeoises/lieutenants ouvriers du mouvement ouvrier) à retrouver du crédit

Sur la Chine, la LCI a adopté une position très proche de celle de Schachtman de la période de la lutte de Cannon et Trotsky contre lui et l’opposition petite-bourgeoise dans le SWP en 1939, une position qui sied parfaitement avec une défense de la Chine que n’importe quel nationaliste est capable d’avancer pour défendre les intérêts de « sa nation ». Schachtman était prêt à défendre l’URSS uniquement en cas d’attaque impérialiste. La LCI mâtine cette position d’une stalinophobie aiguë singeant le lambertisme (« être dur contre le stalinisme », « la bureaucratie, pilier de l’ordre mondial dominé par les US », « la politique de la direction du parti communiste chinois est contre-révolutionnaire et réactionnaire », etc.). Ne lui attribuant plus qu’une nature réactionnaire, elle liquide la double nature de la bureaucratie qu’illustrait Trotsky quand il argumentait, par exemple, que « La bureaucratie n'a pas créé de base sociale à sa domination, sous la forme de conditions particulières de propriété. Elle est obligée de défendre la propriété de l'état, source de son pouvoir et de ses revenus. Par cet aspect de son activité, elle demeure l'instrument de la dictature du prolétariat » (« la Révolution trahie »).

Logiquement, la défense (d’un point de vue nationaliste) de la Chine contre l’impérialisme par les sections de la LCI n’a qu’un seul axe : le seul moyen de défendre la Chine, c’est de chasser le PCC. Ce qu’exprime très bien la dirigeante de la SLUS Skye dans son meeting à New-York en novembre 2023 avec « La défense trotskiste de l'État ouvrier ne repose donc pas sur le soutien des politiques du PCC, mais sur la lutte pour une révolution politique prolétarienne menée par un parti authentiquement léniniste afin de renverser cette clique dirigeante antisocialiste et d'instaurer le règne des conseils ouvriers » (WV n°1181 du 16 avril 2024). On voit bien la différence avec la défense de l’URSS par Trotsky, dans le Programme de transition cité plus haut, qui dans la perspective effective de renverser la clique stalinienne, envisageait « la possibilité, dans des cas strictement déterminés, d'un « front unique » avec la partie thermidorienne de la bureaucratie contre l'offensive ouverte de la contre-révolution capitaliste », une possibilité soigneusement écartée par les « durs contre le stalinisme ». La déclaration de Skye est faite à New-York, à deux pas de Wall-Street, par une militante états-unienne. Des trotskystes états-uniens expliqueraient que la défense de la Chine commence par de la propagande pour que les ouvriers états-uniens se mobilisent pour empêcher leur bourgeoisie impérialiste d’attaquer la Chine, que ce soit économiquement, financièrement ou militairement. La SLUS pense couvrir sa capitulation avec un cosmique « seule la révolution mondiale peut vaincre l'impérialisme » alors que la LCI elle-même reconnaît que ce n’est pas à l’ordre du jour.

La LCI rallie l’« ultra-impérialisme »

Les pérégrinations programmatiques et révisions continuelles de la LCI l’ont amenée à adhérer à la théorie de « l’ultra-impérialisme », une « ultra-niaiserie » pour Lénine. Basée sur un caviardage et une réécriture pour le moins fantaisiste et saugrenue de l’histoire depuis la deuxième guerre mondiale, Perrault et son aréopage de permanents hâbleurs remisent au musée l’Impérialisme de Lénine et, par là même, toute l’analyse du capitalisme de Marx sur lequel Lénine s’appuie pour expliquer le « stade suprême du capitalisme ». Adieu l’économie marchande et la concurrence, place au « front uni » des impérialistes pour un pillage pacifique, organisé, planifié, proportionnellement et équitablement réparti, sous l’égide de l’impérialisme US, et ce depuis 80 (quatre-vingts) ans ! C’est d’autant plus drolatique que les « génies » à la tête de la LCI ne s’en sont rendus compte que très récemment et qu’à peine « découverte », avec l’arrivée de Trump 2, ils doivent déjà considérer la fin de cette longue ère « ultra-impérialiste ».

En effet la LCI vient de décider que Trump est un « bonaparte » et en profite pour décréter que la brève période Trump 2 sera un stade suprême de l’ultra-impérialisme, une sorte d’« hyper-méga-ultra-impérialisme », dans lequel il n’y a plus « front uni », mais un impérialisme US qui va enchaîner tous les gouvernements et États de la planète – tous les pays capitalistes, y compris les rivaux impérialistes, la Russie, etc. et même la Chine. Tous vont être ramenés au rang de simples vassaux. Un pillage pacifique, organisé, planifié, mais au seul profit de l’« hyper-ultra-impérialisme états-unien » cette fois. D’ici à ce qu’ils appellent à la libération nationale de l’Allemagne, de la France ou du Japon… La LCI est passée du marxisme de Karl à celui de Groucho (sans vouloir insulter Groucho Marx).

Si Trump s’est retrouvé une seconde fois au pouvoir et qu’il se permet ses attaques tous azimuts, c’est parce que dans le chaos que le déclin des USA entraîne, il n’y a rien et personne en face de lui aux USA. La classe ouvrière est paralysée depuis des décennies (et s’est en majorité abstenue aux élections) alors que sa partie la plus organisée, qui se concentre essentiellement dans les couches de l’aristocratie ouvrière (celles qui bénéficient des miettes que leurs maîtres impérialistes leurs distribuent à partir du pillage du monde), a vu ses directions unanimement soutenir les tarifs de Trump contre la Chine et les autres pays. Quant aux capitalistes ne soutenant pas Trump, ils n’ont pour le moment pas de représentant fiable. Quand les coûts de la politique de Trump vont commencer à avoir des effets délétères dans la population (ce qui arrive déjà!) et que les affaires des capitalistes US (tous) vont être sérieusement plombées, pas sûr que le « bonaparte » ait de quoi résister bien longtemps.

Pourquoi la LCI rallie cette « théorie » ultra-niaise ?

Lénine explique que les buts de la théorie Kautsky consistent « à estomper et atténuer les contradictions les plus essentielles et à maintenir à tous prix au sein du mouvement ouvrier européen une unité chancelante avec l’opportunisme. » Que ce soit cette théorie ou la « trumpite aiguë » de la LCI, les explications de Lénine peuvent s’appliquer, bien sûr à son échelle microscopique, puisque l’objectif, aujourd’hui, est d’unifier tout ou partie des organisations se disant trotskystes, elle y compris.

Dans l’histoire, les opportunistes ont toujours invoqué une menace imminente et gravissime pour justifier l’urgence et la nécessité absolue de faire des compromis et de capituler. Et pour faciliter cela, la LCI adopte des programmes sous-économistes très proches de ceux du marais et réhabilite ces organisations dégénérées en cessant de les caractériser de réformistes (ce qu’elles sont) pour les estampiller « gauche trotskyste » ou « gauche marxiste ». Ces organisations se seraient en fait simplement « trompées » depuis 60 ans. L’essentiel de la propagande de la LCI n’est plus que des supplications pour que cette « gauche trotskyste » soit plus combative et se mobilise.

Une défense nationaliste de la Chine

La combinaison de leur stalinophobie viscérale et de la bureaucratie comme « pilier de l’ordre mondial dominé par les US » amène la LCI à considérer que la Chine va être étranglée économiquement par les hyper-méga-ultra-impérialistes US, qu’elle va s’effondrer et qu’elle va vers un désastre national. Touche supplémentaire de catastrophisme, nécessaire pour elle, la LCI y transforme des capitalistes chinois – décrits, à juste raison, comme maintenus « sous une poigne de fer » du PCC, « écrasés par la bureaucratie », fuyant la Chine dès qu’ils sont suffisamment riches, pouvant être nationalisés en un claquement de doigt, etc. (Spartacist français n° 47) – comme une classe, qui plus est, une classe qui «  exerce une influence économique et politique considérable » dont l’« essor menace directement l’existence de la République populaire » (« Lettre ouverte au CC du PCC » Spartacist français n° 48).

Les capitalistes chinois ne sont pas une classe aujourd’hui. Ils ne pourront se transformer en classe que quand le PCC commencera à vaciller et à se fissurer. Mais ce jour-là, ces capitalistes seront confrontés à des centaines de millions d’ouvriers qui travaillent dans leurs usines, qui savent que leurs conditions et leurs salaires ont été décidés par eux et les bureaucrates. Si aujourd’hui, la plupart du temps, la police du PCC et de l’ACFTU intervient pour les protéger quand il y a des grèves, les capitalistes risquent de voir cette police disparaître dans cette confrontation. Cette classe ne se consolidera que si la classe ouvrière ne se donne pas les moyens de prendre elle-même en main la société. Ce qui posera et pose dès aujourd’hui le problème de sa conscience, d’un parti pour élever cette conscience et la guider pour créer des soviets et des milices.

Présenter dès aujourd’hui les capitalistes chinois comme une classe et une menace imminente fait disparaître la classe ouvrière chinoise de la scène (ou la transforme en simple spectatrice) pour n’y laisser que la bureaucratie et les capitalistes. C’est d’autant plus ridicule qu’à partir de la description, exacte, qu’en fait la LCI, on ne peut qu’en conclure que les capitalistes ne constituent pas encore une « classe ». La « création » de cette « classe menaçante » ne sert qu’à justifier le redoublement d’appels urgents à renverser le PCC, « seul moyen de vraiment défendre la Chine » pour la LCI. Des appels qui seront bien perçus par « la gauche » (et leurs maîtres). Et pour mieux convaincre les hésitants de« la gauche », elle leur explique qu’ils ont intérêts à empêcher que la Chine tombe dans les mains des hyper-méga-ultra-impérialistes états-uniens sinon ils devront dire adieu aux miettes de fin de mois.

Ayant fait disparaître la classe ouvrière de la scène, pour éviter « le désastre » en Chine, il ne lui reste que … le PCC (qu’elle veut détruire) vers lequel elle se tourne. Et ce n’est pas une contradiction car cela correspond tout à fait à sa conception de la révolution politique telle qu’elle a été brièvement évoquée dans Spartacist français n° 47. Pour elle, ce n’est qu’une révolution de palais dans laquelle une aile de la bureaucratie (qui surgit à bon escient) ferait une simple « purge », un toilettage de l’appareil bureaucratique. La classe ouvrière ne joue absolument aucun rôle sinon pour exercer un « contrôle politique » après coup (avec Weixin/WeChat ou Douyin/TikTok ?). C’est au CC du PCC que Perrault envoie sa lettre ouverte (avec ses recommandations), pas à la classe ouvrière chinoise. Typique des nationalistes et des petits-bourgeois pour qui les ouvriers ne sont qu’un éventuel point d’appui, des auxiliaires, qui peuvent être utiles dans leur accès au pouvoir de par leur poids social.

Le reste de la « famille spartaciste »

Les autres organisations issues du « spartacisme » sont pour la défense inconditionnelle de la Chine. L’ International Bolshevik Tendency (IBT) semble porter plus le poids du passé de l’ET/BT. Alors que « la question russe d’aujourd’hui » est en train de chambouler le monde, la défense de la Chine n’est qu’une question parmi d’autres. Historiquement, la « question russe » a été un problème pour les ET/BT. Ils ont été expulsés bureaucratiquement de la TSI au moment où la deuxième guerre froide prenait une importance et polarisait le monde. Ils étaient pour la défense inconditionnelle de l’URSS, mais cela ne semblait pas être au cœur de leur activité, en particulier syndicale. Les articles (dans les numéros 3 et 4 du journal 1917, en 1987) consacrés au travail d’un de leurs fondateurs dans le local 10 du syndicat ILWU des dockers à San Francisco, Howard Keylor, est révélateur puisque sous la guerre froide Reagan, il n’est pas fait mention de la défense de l’URSS, y compris dans le programme sur lequel il a été élu. Dans l’hommage qui lui a été rendu par le syndicat, après son décès, qui était certes co-organisé par la Bolshveik Tendency (BT) et non l’IBT, il est frappant de constater que dans cette réunion (pas plus que dans le journal publié par la BT en son honneur) l’URSS n’est même pas mentionnée.

L’Internationalist Group (IG), alors qu’il soulevait régulièrement la défense de la Chine (comme en août dernier encore), dans leur pièce de propagande du 25 avril dernier aux USA ( « Trumpland USA : Lurching Toward Authorian Rule », The Internationalist, n° 75), tout en soulevant que la Chine est plus que jamais la cible de l’impérialisme US, ne soulève pas la nécessité pour les ouvriers états-uniens de défendre la Chine contre leur impérialisme. Pourquoi un tel fléchissement ? Les cadres fondateurs de l’IG ont été expulsés de la SL/U.S. par des manœuvres qui cherchaient à mettre fin à un débat auquel la direction de la SL/U.S. ne trouvait pas de réponse. Après la destruction de l’URSS, la LCI avait tenté de se rassurer en décrétant que cette défaite offrirait des opportunités de recrutement. Bien sûr, après une telle défaite, ces opportunités ne se sont pas présentées et les dérives ont commencé pour les inventer. Les futurs cadres de l’IG étaient parmi ceux qui étaient les plus convaincus de ces opportunités et ont développé un impressionnisme permettant de transformer toute lutte défensive en une lutte offensive et étaient devenus les plus prolixes pour inventer des opportunités inexistantes. La direction de la SL/U.S., empêtrée dans ses contradictions, ne pouvait répondre politiquement et en est venue à de basses manœuvres pour se débarrasser de ces « enquiquineurs ». Depuis sa naissance, l’IG se démarque donc par un impressionnisme qui l’amène à surestimer systématiquement la conscience ouvrière et à pronostiquer des lendemains qui chantent en permanence. Et, aujourd’hui, avec Trump, l’impressionnisme de l’IG l’amène à pronostiquer … la troisième guerre mondiale thermonucléaire.

Une guerre impérialiste contre la Chine ?

Que les principaux fauteurs des guerres récentes soient les impérialistes US est clair. Mais, il faut être conséquent et sérieux. Pour l’impérialisme US en déclin, la destruction de la Chine lui apporterait un répit. Mais une des conséquences de ce déclin, entamé depuis des décennies, est que l’armée des USA, bien que toujours la plus puissante du monde, n’est, pour le moment, pas en état de mener une guerre contre la Chine.

Une telle guerre demanderait des ressources industrielles que les USA n’ont plus, depuis longtemps. Ne serait-ce que de retrouver des capacités de production de navires pour mener une guerre où le front est à plus de 10 000 km, 10 000km d’un océan, et affronter une armée relativement bien équipée et chez elle. Cela demandera des années pour former les ingénieurs, techniciens et ouvriers, construire les infrastructures, etc. Et c’est le même problème pour l’énergie. Idem pour les terres rares (vitales pour l’aviation, les drones, les radars ou les missiles). Idem pour les armes, munitions, chars, véhicules. Etc.

Comme les guerres en cours (en particulier en Ukraine) le montrent, ce ne sera pas une guerre contre des bandes plus ou moins organisées de terroristes. On se souvient que de gros problèmes ont commencé aux USA quand il y a eu à peine plus de 2000 soldats états-uniens tués face aux Taliban. Or l’armée chinoise n’a pas que des couteaux et des AK47 à opposer à l’armée US. Même les Houthis avec leurs quelques missiles arrivent à faire stresser suffisamment les pilotes US pour qu’ils ratent le filin du porte-avion et finissent à l’eau. Il faudrait que la bourgeoisie US réussisse non seulement une mobilisation générale de la population, mais que celle-ci accepte des centaines de milliers de morts (et des dizaines de millions si les armes nucléaires sont utilisées). On ne peut pas dire que Biden ou Trump aient eu une telle optique et aient avancé dans ce sens. Et il semble même que Trump 2 a tiré quelques leçons et qu’il sait au moins qu’il faudra un bout de temps (et plus que son mandat) avant d’envisager sérieusement une telle guerre (c’est à-dire envisager de la gagner, tous les scénarios de jeux de guerre effectués par le Pentagone ont donné les USA perdants).

La bureaucratie chinoise a probablement étudié plus que n’importe qui la destruction de l’URSS, en tous les cas plus que toute la soi-disant « extrême-gauche trotskyste ». Elle en a tiré des leçons. Elle l’a étudiée parce que c’est une question de vie et de mort pour elle. Bien sûr c’est en tant que bureaucratie et du point de vue de la bureaucratie, c’est-à-dire dans le cadre de la coexistence pacifique, du socialisme dans un seul pays et de la révolution par étapes, qu’elle l’a fait. Et sur le long terme, elle n’a pas de programme de destruction de l’impérialisme par des révolutions ouvrières et ne va pas les encourager, donc le danger impérialiste demeurera tant que les trotskystes n’arriveront pas à diriger des révolutions ouvrières qui renversent leurs bourgeoisies. C’est le propre de la bureaucratie chinoise depuis près d’un siècle.

Mais, pour la situation immédiate, une des leçons qu’elle a tiré, c’est qu’elle ne va pas abandonner l’armement de la Chine face aux impérialistes. Non seulement parce qu’elle a vu ce que les impérialistes ont fait en URSS, ce qu’ils ont fait après la destruction de l’URSS et ce qu’ils font maintenant, mais aussi parce qu’elle a des moyens économiques, politiques, historiques et culturels que Gorbatchev n’avaient pas. Elle ne fait en définitive que gagner du temps, d’autant plus que le déclin US affaiblit l’armée impérialiste la plus dangereuse et que le chaos que Trump engendre fait que le danger restaurationniste en Chine même -- que pourraient représenter les réactionnaires en tous genres (religieux, séparatistes, petits-bourgeois pro-« démocratie », etc.) ou des capitalistes – sera amoindri pour quelque temps encore. Reconnaître cette situation est probablement impossible pour les anti-staliniens primaires et les anti-communistes.

Le déclin des USA est un fait. De même que c’est un fait que depuis qu’il est hégémonique, l’impérialisme US a toujours pris un soin méticuleux pour affaiblir durablement ses rivaux impérialistes (essentiellement allemand et japonais) et que Trump, avec son MAGA, enfonce le clou en tapant à bras raccourcis sur tous ses alliés potentiels. Le résultat, réjouissant, est qu’aucun autre impérialisme ne peut remplacer l’hégémon défaillant. Et avec ce que devient la guerre par procuration des USA en Ukraine, les pays candidats pour être des proxys pour les US ne vont pas être légion, surtout que la Chine n’est pas tout à fait dans la même catégorie que la Russie, que ce soit au niveau économique et industriel, au niveau de sa population et de sa cohésion, au niveau de son armée, au niveau de sa situation géographique, etc. Sans parler des dirigeants qui, pour la plupart de ces pays en plein marasme (Japon, Philippines, etc.), sont sans soutien populaire.

Du chaos surgira un nouveau monde

Plus le déclin US avancera et plus le monde se réorganisera, avec des conséquences. La première, et non des moindres, est que sans hégémon impérialiste, l’État ouvrier déformé chinois se retrouvera première puissance industrielle de la planète. Personne ne peut prédire ce que cela signifiera dans la réorganisation du monde, ni dans quel état vont se trouver les différents impérialistes. Ce qui est sûr, c’est qu’il y aura inévitablement des bouleversements. Il est probable que les chocs violents occasionnés permettront de débloquer la situation, que les bourgeoisies seront suffisamment déconsidérées et affaiblies pour que les ouvriers se sentent à nouveau en capacité de lutter et de passer à l’offensive.

La chute des USA sera sans doute une opportunité historique pour que le prolétariat états-unien se détache à nouveau du cul de sa bourgeoisie, comme dans le début des années 1930. Ce sera aussi la même chose dans les autres pays capitalistes avancés, après que les nationalistes et protectionnistes en tout genre auront montré que leurs solutions, comme pour Trump, ne mènent qu’à plus de régressions en tout genre et à un effondrement. Ces chocs dans les pays capitalistes, la résilience de l’État chinois et son maintien auront des répercussions dans la classe ouvrière en Chine. Là aussi ce choc permettra peut-être que la perspective d’une mise en place d’une planification soviétique, de l’internationalisme prolétarien et de l’instauration de soviets puisse être envisagée.

Mais que ce soit en Chine ou dans le monde capitaliste, le problème du niveau de conscience des ouvriers, reste et restera la question centrale à résoudre. Après des décades de reculs et de défaites dans le monde capitaliste et de domination stalinienne en Chine, quand les ouvertures permettront à la classe ouvrière de repasser à l’offensive et que de nouvelles couches de militants apparaîtront, le problème qui se posera sera, pour les nanoscopiques forces révolutionnaires, si elles existent encore, de trouver le chemin de l’avant-garde des ouvriers. Ce sera le moment où les programmes de revendications transitoires prendront toute leur importance et permettront à l’avant-garde ouvrière de se détourner des anciennes organisations dégénérées qui, même affaiblies et déconsidérées, essaieront à nouveau de la canaliser dans des impasses.

C’est pour cela que la clarté idéologique et les principes doivent coûte que coûte être maintenus jusqu’à ce moment.


Paris, le 5 juin 2025


Notes

[1] « Letter to the LCFI on Key Questions for Revolutionaries », Spartacist Letters, 7 mars 2025