Pourquoi la dégénérescence de la LCI

La défense des principes et des programmes spartacistes ne peut s’élaborer qu’en examinant non seulement les erreurs qui ont jalonné l’histoire de la TSI/LCI, mais, surtout, en tentant de retrouver leurs causes et comment on aurait pu/dû les éviter. Trotsky en tirant le bilan de la défaite en Chine en 1925-27 a fait cette remarque :

« En Chine, nous sommes entrés dans une période de reflux : il faut donc approfondir les problèmes théoriques, favoriser l'auto-éducation critique du parti, établir et consolider de fermes points d'appui dans tous les domaines du mouvement ouvrier, constituer des cellules dans les villages, diriger et unifier les combats partiels, d'abord défensifs puis offensif, des ouvriers et des paysans pauvres. »

Un tel approfondissement des problèmes théoriques et une auto-éducation critique avaient été envisagés par la LCI, mais ils ont été au mieux superficiels quand ils n’étaient pas carrément faux. La LCI était déjà trop démoralisée pour pouvoir entamer sérieusement une telle tâche. C’est ce travail que nous essayons à notre tour d’esquisser.

Nous estimons de notre devoir de tenter de donner des pistes pour comprendre l’échec flagrant de la TSI/LCI, tout en étant conscient que nous ne détenons aucune vérité ni aucune réponse absolue. Si on considère que le spartacisme était la continuité du cannonisme et du troskysme, sa disparition programmatique représenterait une perte considérable pour le prolétariat international.

Le tournant final de 2017

Le tournant politique définitif de la LCI a eu lieu avec l’adoption d’une ligne nationaliste lors de la conférence de 2017. Notre premier document, diffusé lors de la fête de LO en 2023, montrait toutes les falsifications, déformations et autres truanderies auxquelles les jeunes nationalistes québécois s’étaient livrés, avec l’imprimatur de la secrétaire du Secrétariat international (SI) de l’époque, Coelho. Nous avons aussi expliqué brièvement comment ces jeunes Québécois ont été utilisés par Coelho à ses propres fins (qui étaient de se débarrasser des « Anciens ») en pensant pouvoir ensuite avoir les mains libres. Ce qui était un mauvais plan puisqu’elle-même allait être débarquée abruptement et sans ménagement de son poste quelques mois plus tard (elle a, depuis, bénéficié d’un retour d’ascenseur).

Cette conférence avait commencé à mettre le doigt sur un problème essentiel pour la TSI/LCI : son états-uno centrisme historique. Mais cela a été dévié par les nationalistes en « anglo-chauvinisme », réduisant tout à des questions nationales (« l’Hydre »). Or il est clair que depuis fort longtemps, la section états-unienne de la TSI/LCI dominait à tous les niveaux l’organisation internationale (à commencer financièrement), une domination qui n’a jamais pu être remise en cause en fait et qui s’est même renforcée alors que la démoralisation et le vieillissement s’installaient.

Comment les évènements aussi grotesques et ridicules de 2017 ont-ils pu arriver ? Parce que tous les cadres de cette organisation (nous inclus) étaient (et sont, pour ceux qui sont restés) complètement démoralisés. Les 26 ans qui ont suivi la destruction de l’URSS montrent clairement les éléments d’une organisation qui réfléchissait de moins en moins et suivait la ligne établie dans le « centre » (à travers le porte-étendard WV), toujours composé essentiellement de dirigeants de la SLUS et basé aux États-unis, un centre qui allait systématiquement flancher devant son propre impérialisme.

L’exemple le plus emblématique est bien sûr la capitulation de la SLUS à l’impérialisme US en Haïti en 2010. Après avoir soutenu que l’armée impérialiste pouvait sauver les Haïtiens dans WV, toutes les sections de la LCI, sans exception, ont emboîté le pas. Absolument personne dans toute l’organisation au niveau international n’a trouvé quelque chose à redire. Puis, sous pression des critiques extérieures, quand au bout de plusieurs semaines, Robertson a indiqué qu’il y avait « un problème », comme un seul homme, toute l’organisation allait faire un virage à 180° à la simple lecture du texte du SI annonçant « l’erreur ». La Déclaration de répudiation du Comité exécutif international se contente de l’isolement et du vieillissement de la SLUS (et de la LCI) comme explication de la capitulation de sa section phare, la section au cœur de l’impérialisme US. Et de croiser les doigts pour que cela ne se reproduise plus. Le problème est que 2010 n’était ni le premier flanchement à l’impérialisme US, ni le dernier.

Nous reviendrons aussi sur le début des années 1980, « les années Reagan », un Reagan qui était considéré, et la relecture des WV de l’époque est explicite, comme s'appuyant sur les fascistes par la SLUS. Les capitulations de cette époque ont été dénoncées à juste raison par l’ET, que ce soit sur les Marines au Liban, la proposition de « service d’ordre » pour la convention Démocrate (oui, le parti de la guerre du Vietnam et autres), etc. L’ET en a attribué la responsabilité au régime bureaucratique de Robertson essentiellement, régime qui aurait commencé à dégénérer dans les années 1970. S’il y avait clairement des problèmes de bureaucratisme (nous n’avons pas d’explication définitive, pour le moment, sur les règlements de compte dans la jeunesse ou la tenue du procès/spectacle qui a visé Logan en 1979) nous pensons qu’il y a d’autres explications, comme la fin de l’expansion très limitée de la TSI -- avec le changement de période lié à la fin de la vague post-68 ou de la guerre du Vietnam --, une mauvaise compréhension de l’impérialisme US ou le maintien d’un états-uno centrisme dans la TSI.

Cette profonde démoralisation, a été démultipliée par la destruction de l’URSS. Ré-étudier toute ces périodes, de façon critique, est fondamental.

Les racines de la démoralisation de la TSI/LCI

Pour comprendre comment la destruction de l’URSS a pu avoir un tel impact sur la TSI/LCI, il sera nécessaire de revenir sur les étapes essentielles. Et s’il est clair pour nous que les positions de la TSI sur les évènements qui se sont déroulés en Pologne en 1980-1981 étaient tout à fait correctes, il saute aux yeux que l’arrivée au pouvoir de l’équipe Gorbatchev en URSS a changé la donne pour la TSI. Celle-ci a lentement glissé de la reconnaissance de la réalité à un déni de la réalité (en URSS, en DDR et dans les autres États ouvriers déformés de l’Europe de l’Est).

De Solidarność 1981 à Gorbatchev

Alors qu’elle avait été capable d’analyser correctement les évènements en Pologne (le caractère réactionnaire de Solidarność, le niveau de conscience très bas de la classe ouvrière polonaise qui l’amenait derrière les clérico-nationalistes réactionnaires, les buts de la bureaucratie polonaise, etc.), la TSI a été incapable de reconnaître une situation qui était identique dans les autres États ouvriers (dégénéré et déformés). La conscience et la combativité ouvrière était au même niveau désastreux qu’en Pologne (voire pire), et la relecture des articles de WV de la période (1985-1988) le montre amplement. Face aux dangers que le gorbatchévisme représentait (en ouvrant la porte à la restauration capitaliste), la TSI essayait simplement de se rassurer mois après mois en prétendant que la classe ouvrière était prête à défendre les acquis de l’État ouvrier dégénéré, ce qui induisait une combativité et une conscience élevées de la classe ouvrière. Mais, la relecture attentive des dizaines d’articles publiés, on ne retrouve qu’une minuscule grève de chauffeurs dans un dépôt de bus perdu dans la banlieue moscovite. Le seul véritable mouvement de la classe ouvrière a été la grève massive des mineurs dans le Kouzbass et le Donbass début 1989. Comme WV l’a bien documenté (et comme on peut le retrouver aujourd’hui dans toutes les analyses), la bureaucratie gorbatchévienne a immédiatement donné satisfaction aux revendications des comités de grève (des revendications par ailleurs purement économiques -- et justifiées), afin de s’assurer la paix sociale et éviter que cela ne puisse déboucher sur un réveil de la classe ouvrière dans toute l’URSS.

Utilisant la méthode Coué, la direction de la TSI affirmait donc, article après article, que la classe ouvrière était prête à défendre les acquis, voire prête à avancer vers la révolution politique, bien que ne fournissant aucun indice permettant d’envisager une telle issue. La grande différence entre la Pologne 1981 et l’ère Gorbatchev, permettant d’expliquer ce déni de la réalité, est celle-ci : en Pologne, il était clair que la bureaucratie polonaise, avec le soutien entier et total de la bureaucratie soviétique, n’allait pas laisser la contre-révolution l’emporter et allait frapper fort, alors qu’avec Gorbatchev, rien n’allait dans le sens d’un arrêt brutal de la contre-révolution. Au contraire, la perspective d’une contre-révolution en URSS et dans les pays de l’Est devenait, malheureusement, une véritable menace. La TSI, au lieu de reconnaître ce danger, de s’y préparer et d’y préparer les secteurs de la classe ouvrière qui, là où elle était présente, c’est-à-dire à l’Ouest, cherchaient à empêcher la catastrophe (essentiellement les staliniens), s’est réfugiée dans ses rêves.

La TSI confond désir et réalité en DDR …

Il ne faut pas oublier non plus que tout le début des années 1980 et jusque très tard (1987) , la SLUS (donc la TSI) considérait que dans la course aux armements avec l’URSS, c’étaient les USA qui seraient les perdants. On reviendra sur ce point qui permet d’expliquer en partie pourquoi la TSI a été prise au dépourvu par les évènements en Europe de l’Est et en DDR en 1989 (comme par exemple, la section allemande de la TSI qui n’avait jamais mis les pieds en DDR avec une direction internationale de la TSI qui ne lui avait jamais demandé de le faire). Non seulement cela était une tâche importante (ne serait-ce que pour prendre le pouls du gorbatchévisme et, de l’extérieur, avoir une petite idée de ce qui se passait), mais une tâche relativement facile à effectuer. Un reflet que la TSI envisageait plus une crise à l’Ouest qu’à l’Est.

Ce qui fait que quand les événements se sont déclenchés, de façon absolument inattendue pour la TSI, tout a été improvisé à la va-vite, que ce soit politiquement ou organisationnellement. Ce fut la mobilisation générale, ce qui était normal vue l’importance historique de ces événements. Mais le principal problème était que cette mobilisation générale était basée sur la confusion entre une nécessité absolue, la révolution politique prolétarienne, et la réalité. Dans les mois précédents les événements ce sont des éruptions nationalistes ou la fuite de petits bourgeois qui avaient fait la une, pas des grèves, manifestations ou mobilisations ouvrières. La TSI n’avaient absolument aucun militant en DDR. Et depuis la Pologne de 1981, tout se qui se passait dans les Pays de l’Est ou en URSS n’augurait en rien des révolutions politiques. Dans ces conditions annoncer immédiatement, comme la TSI l’a fait, que la révolution politique avait commencé et agir comme si la classe ouvrière commençait à construire un double pouvoir ne pouvait que déstabiliser la TSI.

Bien sûr si la révolution prolétarienne avait été en marche, une minuscule organisation comme la LCI aurait pu intersecter une partie de l’avant-garde ouvrière. Mais, la réalité était très différente. La chose qui saute aux yeux (et la lecture de la propagande et de la presse de la LCI de cette période-là le montre amplement), c’est la passivité et l’absence de mobilisation de la classe ouvrière. Aussi bien en DDR (le summum de l’intervention de la LCI) qu’en URSS. Or le programme transitoire que des révolutionnaires doivent avancer à l’adresse d’une classe ouvrière qui construit des soviets et le double pouvoir n’a rien à voir avec le programme transitoire qui s’adresse à une classe ouvrière totalement passive, surtout quand elle fait face à une attaque historique contre le premier État ouvrier au monde.

En regardant l’intervention de la TSI/LCI en DDR telle que rapportée dans sa presse, ou résumée dans les articles anniversaires, il saute aux yeux que les groupes ouvriers spartakistes sont extrêmement peu nombreux, sans influence réelle, que les conseils de soldats, qui étaient un peu plus nombreux, ont été quasi immédiatement démantelés par la bureaucratie. Il ne reste que la manifestation de Treptower Park pour laquelle une partie de la classe ouvrière s’est déplacée, mais, comme le montre là aussi la presse de la LCI, la bureaucratie soviétique (puisque la bureaucratie est-allemande avait complètement explosé) a pris soin de fermer les portes à tout risque, pourtant minime, de « dérapage » en accélérant le processus qui allait mener à la contre révolution.

Si la classe ouvrière et les soldats est-allemands avaient été réellement mobilisés et avaient été prêts politiquement à défendre leur État ouvrier déformé, la LCI aurait pu avoir un impact un peu plus grand, mais ce n’était pas le cas. Le programme de la TSI/LCI ne permettait pas aux quelques dizaines de soldats ou d’ouvriers qui l’écoutaient et agissaient avec elle d’intervenir correctement parmi leurs collègues. Il considérait les ouvriers et soldats comme déjà conscients qu’il fallait défendre la DDR alors que le problème central était qu’il fallait les convaincre de la nécessité vitale de cette défense de la DDR, et que eux seuls pouvaient le faire.

Confondre ses désirs et la réalité est, pour des révolutionnaires, mortel.

… comme en URSS

On retrouve exactement les mêmes travers dans l’intervention de la LCI à propos de l’URSS. En pire, puisqu’elle se déroule après la défaite en DDR. Le plus époustouflant de ce point de vue est probablement la présentation de Seymour dans le Spartacist de 1991, qui a été, pendant plusieurs années, la « bible » spartaciste sur la contre-révolution en URSS et dans les pays de l’Est. Ce texte est daté du 10 octobre 1990, donc après la défaite en DDR et alors que les événements sont en cours en URSS. Après un tour d’horizon des Démocraties ouvrières de l’Est, pour lequel il passe en revue les différentes cliques bureaucratiques -- parce qu’il n’a absolument aucune mobilisation ouvrière à se mettre sous la dent -- Seymour finit avec l’URSS. Il semble que son seul objectif est de se rassurer et de rassurer la LCI : « Il est difficile d'envisager que des forces restaurationnistes capitalistes arrivent au pouvoir gouvernemental en URSS sans guerre civile comme cela est arrivé en Europe de l'Est. » Une simple affirmation pour faire espérer que ce sera différent de la DDR. Seymour (et la direction de la SLUS/LCI) explique que « Tous les indices montrent que la masse des ouvriers soviétiques ne soutient pas l'établissement d'une économie capitaliste de marché en tant que telle ». Ce qui est probablement vrai. Mais les véritables problèmes, comme ce l’était en DDR, sont la passivité de la classe ouvrière et son niveau de conscience, des problèmes qu’il n’aborde pas. En plus penser que la création d’un groupe trotskyste au dernier moment, puisqu’il n’existe pas au moment où Seymour écrit son texte, pourrait aller à l’encontre de ce qu’il considère comme une « bipolarisation » de la société soviétique est aberrant.

Le problème n’est pas de considérer qu’intervenir ne servirait à rien, bien sûr, mais de comprendre que les taches d’une demie poignée de militants débarquant au tout dernier moment, de l’extérieur, ne parlant pas tous le russe, avec une classe ouvrière complètement passive (au mieux), ne peut être que très limitée et ciblée. Comme en DDR, si la classe ouvrière n’est pas convaincue de la nécessité de défendre l’État ouvrier et consciente que elle seule en a le pouvoir (avec l’intervention d’un parti révolutionnaire), il ne peut y avoir de mobilisations massives de celle-ci. Ce que décrit Seymour, et que les faits ont prouvé. Avec une classe ouvrière sans conscience claire ni mobilisations massives, les révolutionnaires ne pourront faire tourner la roue de l’histoire en sens inverse. Ce simple constat n’est ni une remise en cause de la nécessité du parti, ni du pessimisme historique, ni une réécriture de l’histoire après coup. C’est la compréhension que le programme et les taches des révolutionnaires découlent de la réalité telle qu’elle est, pas d’une réalité fantasmée. Sinon, c’est se bercer d’illusions et se garantir des lendemains qui déchantent. Ce qui s’est passé pour la LCI.

À bilan erroné de la LCI sur les événements en DDR et en URSS …

Le bilan que la LCI a tiré de la destruction de l’URSS a été désastreux. Elle n’a jamais remis en cause, à aucun moment donné, le programme et la forme de son intervention. Éparpillés et disséminés, on retrouve pourtant tous les arguments soulevés plus haut permettant de conclure que la LCI était plutôt à côté de la plaque. Mais remettre en cause le contenu et les perspectives de cette intervention était sujet à une avalanche d’insultes et de crispations (démontrant qu’il y avait bien un problème).

Les textes et discussions suivant la fin de la DDR ou de l’URSS sont accablants. Alors qu’il y est clairement affirmé à plusieurs reprises, que le prolétariat, tant en DDR qu’en URSS, ne s’est pas mobilisé, qu’il y est reconnu (brièvement) que le niveau de conscience était très bas, rien n’est dit sur les programmes ou actions de la LCI qui, eux étaient basés sur un niveau de conscience présumé élevé et une mobilisation ouvrière possible. Les textes de Seymour et St-John de septembre-octobre 1990 essaient lamentablement d’expliquer que la conscience des ouvriers soviétiques ne serait pas la même que celle de l’État ouvrier déformé en DDR parce qu’il y a eu une révolution prolétarienne en 1917. « Il est difficile d’envisager que des forces restaurationnistes capitalistes arrivent au pouvoir gouvernemental en URSS sans guerre civile comme cela est arrivé en Europe de l'Est » affirme Seymour. Il est clair que la direction de la LCI a cherché par tous les moyens à se raccrocher à l’espoir d’une révolution politique prolétarienne. Avec la conséquence que cela ne pouvait que désorienter les maigres forces de la LCI.

… perspectives tout aussi erronées

Problème beaucoup plus grave encore, pendant plus de 25 ans la LCI n’a jamais pris réellement la mesure de ce que la destruction de l’URSS avait entraîné.

Les textes, que ce soit ceux de la période amenant aux destructions de la DDR puis à celle de l’URSS, ou ceux de bilan, cherchent tous essentiellement à rassurer et tranquilliser les militants de la LCI en leur promettant que la destruction des États ouvriers allait ouvrir des perspectives. Al Nelson explique en septembre 1990 que « la situation actuelle offre des occasions sans précédent à notre tendance programmatique ». Puis le texte voté à la conférence de la LCI de 1992 (qui reconnaît, brièvement, que l’URSS a été détruite) prédit une situation favorable parce que les opposants soit-disant trotskystes sont désorientés et que les partis staliniens explosent. À aucun moment il n’est question des conséquences désastreuses (démoralisation massive des ouvriers, arrogance des bourgeoisies impérialistes, etc.) qu’une telle défaite allait entraîner.

En 1990 Al Nelson (qui reprend des formules de Robertson) rapporte un débat lors duquel des camarades pensaient que les militants de la LCI était politiquement désarmés. Dans sa réfutation de ce point, il y a un autre passage qui permet de comprendre l’état de confusion dans lequel était la direction de la LCI : « cette période n'est pas équivalente à, disons, 1928 en Chine où Trotsky ne pouvait trouver aucune satisfaction au fait que son analyse s'était avérée correcte. La confusion et la démoralisation temporaires de secteurs du prolétariat ne sont pas la même chose qu'être écrasé et atomisé par des défaites sanglantes. » Même si la défaite en Chine a eu des conséquences importantes pour le prolétariat chinois, la comparer avec la destruction de l’URSS est plus que problématique. Et le mot « temporaires » montre clairement que l’objectif est de faire croire aux camarades que ce n’est qu’un mauvais moment qui va vite passer. Les militants de la LCI vont être à la recherche, désespérément, dans les années qui vont suivre, de ces « occasions sans précédent ».

La LCI écartelée

Ces occasions étant introuvables, le décalage et les contradictions entre les perspectives décidées et la réalité du monde et de la classe ouvrière vont amener, de façon inévitable, à la recherche par les militants de la LCI de raccourcis programmatiques permettant de trouver ces « occasions ». Ces raccourcis ont certes été combattus au coup par coup quand les conséquences désastreuses apparaissaient, mais les causes n’étant et n’ayant jamais été identifiées, ils ont été récurrents. Et ce phénomène a été très rapide comme le révèle le mémorandum du CEI de 1996. Celui-ci, dans la droite ligne des conférences précédentes, énumère une longue série d’ouvertures et d’opportunités de recrutement mirifiques pour la LCI à travers le monde. Puis il dénonce Norden qui, en tant que responsable pour le SI du travail en Allemagne, a essayé de concilier d’anciens bureaucrates de DDR et a transformé de simples luttes défensives en des luttes offensives (il a donc inventé des opportunités). Norden va maintenir et se consolider sur cette ligne de transformation de la réalité. Le SI mis en place à cette conférence ne saura pas lui répondre. La responsabilité de ces capitulations n’étant pas attribuée aux contradictions de la politique de la LCI, elle est reportée sur Norden que le SI finira par exclure bureaucratiquement.

On peut noter deux choses sur ce plénum de 1996. La plus importante est que la collision de la politique de la LCI avec la réalité du monde est suffisamment violente pour que cela transparaisse dans le mémorandum. Le CEI cite, au début, le premier paragraphe de « Bolchévisme ou stalinisme » de Trotsky qui est en exergue de « Pourquoi ce blog ». Le CEI se sent même obligé de reconnaître un changement de conscience vers le bas dans les classes ouvrières. Malheureusement, comme on l’a vu ci-dessus, ces déclarations n’ont aucune conséquence tant en termes de perspectives centrales qu’en termes programmatiques. Ce ne sont que des formules secondaires. La direction de la LCI et ses militants jugent que les perspectives mirifiques sont bien plus importantes. L’autre point est que dans cette bataille contre Norden sur les anciens staliniens de DDR, la LCI va se solidifier sur la ligne que « la LCI avait donné une direction révolutionnaire en DDR » (nous reviendrons dessus). Au-delà du ridicule de cette formulation, cette ligne permettait d’éviter désormais toute remise en cause ou interrogation de la politique et de l’intervention de la LCI dans les événements en DDR et en URSS. Or toute tentative de clarification politique sur la dérive de la LCI doit passer inévitablement par cette étape qui est un point d’inflexion majeur de la LCI.

Vers la dégénérescence finale de la LCI

Le monde ouvrier reculant de plus en plus et la LCI s’accrochant désespérément à ses perspectives, les contradictions vont aller crescendo. Les militants de la LCI, année après année, ne voyant rien venir, les recherches de raccourcis programmatiques et les capitulations vont aussi aller crescendo. Tout comme la lente, inexorable et insidieuse démoralisation. La LCI et le SI étant sous mainmise états-unienne de la SLUS, ce sont surtout les capitulations aux Démocrates qui vont rythmer les « débats » de la LCI. Les secrétaires du SI (toutes états-uniennes) vont s’éreinter (et valdinguer) jusqu’à épuisement. Que la secrétaire responsable lors du crash sur Haïti en 2010 ait réussi à s’en sortir indemne (rester en poste) ne vient que du fait qu’il n’y avait plus de volontaires pour la remplacer.

Elle a pensé pouvoir en finir avec les crises à répétition et la démoralisation/passivité généralisée dans la SLUS/LCI en éjectant toute la couche des « Anciens » quand l’opportunité s’est présentée en 2017 avec la bataille amenant au tournant nationaliste de la LCI. Elle pensait pouvoir à partir de là consolider une équipe de fidèles compagnons (permanents) autour d’elle pour ensuite changer la politique de la LCI avec sa politique. Quand l’opportunité s’est présentée avec la crise du COVID, sa tentative de mettre sa politique (totalement économiste) en place dans la LCI a fait long feu, les louveteaux qu’elle avait fait entrer dans la direction internationale avaient grandi et n’étaient pas d’accord avec ce tournant (ou ont fait semblant, quand on voit aujourd’hui qu’ils avancent exactement le même genre de programme) : ils l’ont fait tomber. Et ce n’était pas pour remettre en question une partie du trotskysme, mais le trotskysme dans son entièreté (programme de transition, révolution permanente, question russe, travail communiste dans les syndicats, etc.).

D’où ce blog aujourd’hui.

Septembre 2025