[ Lettre de démission de la LCI de Brunoy ]

13 mars 2021

Chers camarades,

En décembre, on m'avait dit que j'étais impatient. J'avais accepté. Mais les deux derniers envois du SI [Secrétariat international] m'ont convaincu que l'impatience n'est pas le seul problème, voire un faux problème. L'aspect hors temps et hors sol me frappe. Depuis la dernière réunion de SI début décembre, Biden a pris son poste et met sa politique en place. Mais cela n’apparaît même pas comme un élément dans la discussion politique (qui n'avance pas d'un iota). Il y a quatre mois, on m'avait répondu que demander que la déclaration de la SL/U.S parle de la défense de la Chine était souhaitable mais non réaliste. Depuis rien n'a été discuté (ou n'est apparu dans ces envois). Quant à la discussion sur le Confinement, c'est accablant.

Dès que Biden a pris son poste, on a pu voir en quelques jours qu'il confirmait bien être le chef de l'impé­rialisme US, que sa politique extérieure était non seulement dans la continuité de Trump, mais qu'elle se voulait plus efficace dans sa volonté de dominer le monde. C'est une preuve de plus (comme s'il en fallait une!) de la no­civité de se retrouver (ne serait-ce qu'en pensée) derrière Biden et comment l'anti-trumpisme est une farce ma­cabre. Or à la réunion de février, pas plus qu'avant, ce fait est un facteur. Cela fait des mois de discussions, et ja­mais le fait qu'on est en train de discuter de l'impérialisme numéro un, celui qui domine le monde, qui a les capa­cités, financières et militaires, d'imposer ses conditions au reste du monde capitaliste – voire d’annihiler la planète – n'est apparu. Les discussions n'ont jamais été élargies. Le résultat est que petit à petit, au fil des mois, elles se sont détachées de la réalité du monde. Bien sûr il y a la spécificité de la question noire aux USA. Mais cette ques­tion, comme les quelques autres qui ont été discutées, n'ont jamais été mises dans une perspective internationale. On discute de la question du front populaire, de l'indépendance de classe, de l'attaque du Capitole, de l'impeach­ment, etc. comme si c'était le Luxembourg ou Brunei (sans vouloir insulter les habitants de ces États). Alors que les dirigeants Démocrates ou Républicains sont en train de s'écharper sur comment continuer à dominer et piller le monde, comment écraser les peuples, comment écarter les concurrents ou les maintenir sous domination, com­ment en finir avec les États ouvriers déformés, cela n’apparaît nulle part, ni dans la SL ni de la part du SI.

Après tous ces mois, c'est l'étroitesse nationale de la SL qui a engouffré la LCI, pas la LCI qui a tiré la SL de son trou.

Les USA, impérialisme numéro un

On est passé de « America first » de Trump à « l'Amérique devant » ou quelque chose comme ça de Bi­den. Ce dernier voudrait se mettre à la tête de tous les « alliés démocratiques » pour en finir avec la « Chine dicta­toriale » alors que Trump voulait la détruire tout seul. Bien sûr tous ces alliés devront marcher derrière, en ordre et à ses ordres. On est dans la nuance. Blinken explique que l'épisode du Capitole est une catastrophe pour « l'image des USA », car leur « crédibilité » comme chef de file des « démocraties » en a pris un coup. En effet la bande de pieds-nickelés – par ailleurs meurtriers – qui a sévi au Capitole a taché la « réputation » de démocratie représenta­tive, « la première démocratie du monde » aux yeux du monde. Pour pouvoir être à la tête et faire marcher les al­liés en bon ordre il faut effacer cette tache (pour pouvoir en faire une bien bien plus grosse en Asie entre autres). C'est le principal boulot des diplomates Démocrates maintenant.

Les années Trump ont été des années où celui-ci a un peu malmené les dits « alliés démocratiques » en rompant pleins d'accords, en leur collant des sanctions, etc. Le résultat est que la plupart de ces « alliés » rivaux ont commencé à prendre quelques précautions pour maintenir leurs profits et ont faits quelques écarts dans leur soumission/suivisme aux USA. Pour les ramener dans le droit chemin (derrière les US), les Démocrates (tout ou partie) essaient de rassurer ces alliés comme quoi Trump ne reviendra pas, et leur promettant même quelques miettes. D'où les manœuvres autour de l'impeachment et les poursuites judiciaires diverses pour essayer d'assurer une impossibilité de retour de Trump au pouvoir et/ou limiter ses capacités de nuisance. De ce point de vue, on n'en a rien à faire de ces manœuvres. Aucun regard international ne semble apporté dans ces discussions (du moins dans les compte-rendus/interventions qu'on peut lire).

Même travers dans la discussion sur la question de l'Europe. Une des premières déclarations de Biden une fois à la Maison blanche a été de tancer l'UE (et donc l'Allemagne, la France, etc.) pour avoir osé signer un accord avec la Chine juste avant qu'il prenne place sur le trône, sans attendre de savoir s'il donnait son imprimatur (qu'il n'aurait pas donné) à cet accord. Puis Biden a annulé le retrait par Trump des troupes US d'Allemagne, ce dont la bourgeoisie allemande s'est empressée de le remercier (et oui, elle n'a pas l'armée de son poids économique). Ceci aurait pu se refléter dans la discussion car ce sont des faits extrêmement intéressants qui permettent de l'alimenter, de l'actualiser pour mieux comprendre les relations US-Europe, et ouvrir un peu plus les yeux de la SL. Mais rien. Jamais ce prisme de la domination du monde par la première puissance impérialiste mondiale n'est apparu.

Il faut imaginer quand ce débat interne va être rendu public, la classe ouvrière et les opprimés dans le monde, sous domination [ou menaces] directe ou indirecte des impérialistes US (en Amérique latine, en Chine, etc.), vont découvrir et voir que la LCI a été capable de débattre pendant plus d'un an avec sa section aux USA, sans jamais prendre en compte leur oppression ou le rôle de l'impérialisme US dans leur monde !

Que la SL marine dans son étroitesse nationale est bien dommage. Mais la SL a réussi à amener le SI dans son cadre, sur son terrain étroit. Je ne comprends absolument pas pour quelle raison le SI a accepté. Au lieu d'ame­ner une vision internationale, d'élargir le débat au sein de la SL (et de la LCI), le SI s'est finalement adapté à l'étroitesse nationale de la SL et a paralysé la LCI. Bien sûr le fait que tous les camarades aient ré-étudié (ou étu­dié pour les plus jeunes) la question noire aux USA, l'intégrationnisme révolutionnaire, etc., est très bien. Mais accepter le terrain étroit de la SL ne donne que peut de chance à la SL (ou à certains de ses membres) de s'en sor­tir.

Le résultat est qu'on en arrive à avoir des discussions complètement hors sol, déconnectées de la réalité du monde, abstraites et desséchantes (et desséchées). Au départ une lutte pour quelques points clés du programme ré­volutionnaire, elle s'est peu à peu transformée en un débat d'idées de moins en moins intéressant. Et qui peut tour­ner en rond longtemps.

La Chine

J'avais soulevé le fait que la défense de la Chine était absente de la déclaration de la SL il y a quatre mois. Depuis, Biden a bien montré que son programme était le même que celui de Trump en pire contre l’État ouvrier déformé, car il se veut plus efficace pour mobiliser tous les « alliés démocratiques » contre la Chine. Et il s'est ac­tivé pendant les quelques semaines depuis qu'il a pris son poste : appel de tous les membres du QUAD pour relan­cer cette alliance (avec une réunion officielle et importante hier, 12 mars), envoi de navires de guerre (dont deux porte-avions) ou d'avions de reconnaissance en tout genre en Mer de Chine et dans le détroit de Taïwan, réaffirma­tion de la défense du Japon dans son occupation des Diaoyu contre la Chine, réaffirmation de la défense de Taï­wan contre Beijing, maintien des sanctions économiques, campagne sur Hong Kong et le Xinjiang, et j'en passe. Les déclarations de Blinken s'enchaînent pour rallier les « démocraties » derrière le panache blanc de l'impéria­lisme US.

Les impérialistes US s'activent (et la bureaucratie de Xi est toujours en train de prôner la coexistence pa­cifique, le multilatéralisme, etc.). Reflets dans la SL : rien. Reflets dans le SI : rien. Pourtant deux camarades de sections asiatiques – qui sont au front sur la question de la Chine avec leurs bourgeoisies (dans le QUAD) qui ne se roulent pas les pouces et voient Biden comme le chef qui va pouvoir les aider à tenir en respect la Chine com­muniste – avaient aussi remarqué cette absence. [Herminio] m'avait répondu que d'en parler aurait été « bien » mais que c'était au-dessus des forces de la SL. Et que cette absence « ne dénotait pas un refus de défendre la Chine ». Donc quitus à la SL, ils ont « franchi la ligne de classe » sur Biden m'est-il dit dans la même lettre, mais on ne cherche pas à vérifier s'il n'y a pas un hiatus entre la théorie et la pratique. Dans les faits le SI juge que cette question n'est pas vraiment importante à discuter avec et dans la SL. Donc franchir la ligne de classe se traduit pour la SL en rupture programmatique sur la question noire ou l'indépendance de classe aux USA mais ça ne peut pas se traduire par une rupture programmatique sur la question de la Chine ? L'absence de demande de compte à la section US, en quatre mois, sur la question de la défense inconditionnelle de l’État ouvrier déformé chinois (et la révolution politique prolétarienne…) semble montrer que son importance est devenue toute théorique et purement abstraite.

Quand on voit les positions de Biden contre la Chine, depuis toujours – c'est-à-dire avant, pendant et après Trump –, pour que la SL capitule à Biden, c'est que notre programme sur la Chine a été totalement absent de leur vision. Le simple fait de lire toutes ses dégueulasseries (passées et présentes) sur la Chine et ce qu'il allait faire aurait du refroidir les camarades de toute velléité de soutien.

Dans son texte A. [ancienne secrétaire du SI] a parlé des États ouvriers déformés, dans le contexte de la pan­démie, expliquant la relative réussite des États ouvriers déformés pour contenir la pandémie. Ce qui est intéres­sant, et révélateur, ce sont les deux États choisis : le Vietnam et Cuba. Il ne faut pas être grand devin pour com­prendre pourquoi les exemples sont le Vietnam et Cuba : ce sont les États ouvriers déformés compatibles avec Bi­den. Les impérialistes français ont envoyé en mission de trois mois deux bâtiments de la marine nationale pour former leurs nouveaux officiers. Les objectifs : faire respecter le droit de circulation dans la région [«] Indo-Pacifique [»], faire la chasse à la « contrebande des bateaux Nord-Coréens », faire des manœuvres avec différentes marines (US, Japon, etc.) alliées. Joli programme ! Or ces deux bâtiments font pleins d'escales, dont deux … au Vietnam. Les bureaucrates staliniens sont tous pareils : chacun son tour de se retrouver à jouer les pions pour les impérialistes contre la bureaucratie rivale, hier les chinois contre le Vietnam, aujourd'hui les vietnamiens contre la Chine. Pour Cuba (qui est l’État ouvrier déformé qui a le moins bien réussi face à la pandémie), c'est Obama (et Biden) qui avait rétabli les relations avec Cuba. (Mais les temps ont changé et Biden n'a pas touché à la mise de Cuba sur la liste des « ennemis » de l'impérialisme US par Trump). Ce petit détail m'a interpellé, parce que sur une question comme la pandémie, aux USA, après tout le vomi China bashing qui a été et est toujours déversé par la bourgeoi­sie US, ne pas parler de la Chine c'est, même inconsciemment, dans la complète continuité de la capitulation à Bi­den. Comme on dit, le diable est dans les détails.

Là encore, quand toute cette discussion sera rendue publique, ce sera apprécié à sa juste valeur de tous ceux qui, en Asie – et ailleurs – s'inquiètent des menaces de l'impérialisme US contre la Chine. Ils pourront re­marquer que ce point important pour la région et le monde a compté comme facteur zéro dans cette discussion. Et s'ils avaient des moustaches, les staliniens chinois pourraient se les friser tranquilles.

La pandémie

Après 10 mois d'abstinence, la LCI va pouvoir re-discuter de la pandémie, pardon du Confinement. Le SI met en avant le rapport des camarades du TOE comme « exemplaire ». Dans la ligne du dernier article publié dans WV des camarades d'Afrique du sud (auquel je n'avais apparemment pas prêté l'attention que j'aurais dû à l'époque), ce rapport accentue encore plus l'aspect programme maximum-programme minimum qui m'a frappé à la relecture de l'article.

Si je comprends bien, la ligne de force dans la LCI maintenant est que de chercher une quelconque ré­ponse sanitaire à la pandémie dans les États capitalistes, c'est réformiste. On insiste, à juste raison, qu'on ne doit jamais entraîner des illusions en faisant appel à l’État bourgeois ce qui est la base du marxisme. Mais si ne pas toucher aux questions sanitaires est un principe, il doit faire se retourner dans leurs tombes Marx, Engels, Lénine, Trotsky, et Jim Robertson.

Dans le rapport du TOE on a donc le programme maximum – « Seule la dictature du prolétariat permet­trait de contrôler une pandémie de façon rationnelle » – et le programme minimum – des demandes « démocra­tiques » (plutôt libérales). Nulle part l'ombre du début de commencement de quoi que ce soit qui pourrait ressem­bler à un programme de transition. Déjà, le programme maximum est faux. Ensuite, les quelques demandes qui sont avancées, et qui sont pratiquées dans pleins d'endroits dans le monde réel (celui où il y a un virus qui rend malade et qui tue) peuvent avoir des conséquences désastreuses.

La formulation « Seule la dictature du prolétariat permettrait de contrôler une pandémie de façon ration­nelle » est fausse. Il suffit de chercher quelques instants sur les sites récapitulatifs par rapport à la Covid-19 pour se rendre compte que plusieurs pays, plus gros, voire beaucoup plus gros que la Grèce, ont réussi à contrôler assez bien la pandémie. Donc il semble qu'il y ait des dictatures du prolétariat qui se sont instaurées sans qu'on s'en soit rendu compte (Cambodge, Tanzanie, Thaïlande, Taïwan, …). Pourquoi ces pays capitalistes (désolé de le rappeler) ont pris des mesures sanitaires et sont arrivés à contrôler la pandémie relève sans doute (je ne connais pas ces pays particulièrement) de ce que les camarades du TOE expliquaient en avril dernier, que les bourgeoisies ont eu peur de troubles sociaux si la situation partait en vrille ; ou ces bourgeoisies ont fait le calcul que ça leur coûterait moins cher de contrôler la pandémie que de laisser aller. D'autres explications sont possibles. Peu importe. Ce même type de formulation « programme maximum » est déjà dans l'article du SSA.

Cette formulation, totalement fausse donc, a un but précis : faire oublier et cacher le fait que la LCI ne veut rien proposer, pas de programme transitoire de quelque sorte que ce soit face à la pandémie.

Les demandes « démocratiques » sont avancées, c'est frappant, de façon complètement abstraite et théo­rique, dans l'absolu, détachées de tout contexte, voire caricaturées. La question des voyages. Déjà il y a des condi­tions sanitaires qui existent, différentes d'un pays ou d'un continent à l'autre (tests avant et après, quarantaine, tra­çage, suivi, etc.), respectées ou non, mises en application ou non. Mais qui permettent de voyager. Ne pas prendre en compte les précautions sanitaires tout en revendiquant la « liberté de voyager » revient à revendiquer la liberté d'amplifier la pandémie (avec les conséquence qu'on connaît). Au non de la démocratie (que tous les communistes savent être la plus grande forme de « liberté », n'est-ce pas) la plupart des capitalistes ont laissé la « liberté de voyager ». En France, on a eu la ministre de la santé Buzin qui a expliqué le 24 janvier 2020 qu'il n'y avait quasi aucune chance que le virus arrive en France. Donc le virus est arrivé et s'est répandu (bientôt 100 000 morts – qui sont les plus libres du monde maintenant –, un an de confinements, etc.). Si les conditions de contrôle sanitaire sont effectives, il y a liberté de voyager. Mais la façon de débattre (liberté inconditionnelle de voyager contre in­terdiction absolue de voyager) revient à demander aux camarades (et aux ouvriers) de choisir entre laisser le virus circuler/se répandre ou enfermer/restreindre tout le monde. Désolé, mais, à mon humble avis, les communistes ne devraient être ni pour l'un ni pour l'autre.

Demander à l’État bourgeois qu'il prenne des mesures, sanitaires ou autres, comme le font les opposants de tous poils et les directions syndicales, est réformiste, c'est clair. Mais ce qui remarquable, dans l'article, comme dans le rapport du TOE, c'est qu'on ne prend jamais comme perspective la puissance de la classe ouvrière organi­sée, alors que celle-ci devrait être mobilisée pour agir et changer le cours des choses. On ne peut le faire que de fa­çon propagandiste, étant donné la faiblesse des syndicats, la faiblesse de la LCI, etc. Mais on ne se met jamais dans la situation où on serait à la tête de la CGT par exemple (bon, c'est vrai qu'avec le soutien du Bolchévik à Martinez, c'est difficile de l'envisager). On se voit bien à la tête d'un État ouvrier avec la panoplie rêvée de moyens étatiques pour juguler la pandémie (dans l'article). Mais on ne se voit pas à la tête d'un syndicat de masse (pour­tant, pour arriver au pouvoir, il faudra bien avoir une influence dans les syndicats, et pour cela avoir un pro­gramme permettant de faire rompre les ouvriers avec leurs directions pro-capitalistes).

Avant que la pandémie n'arrive, une CGT lutte de classe aurait pu envisager de ne pas croire sur parole Buzin, de ne pas faire confiance, et de mobiliser les 40 ou 50 000 travailleurs de la plateforme aéroportuaire pour assurer eux-mêmes que des conditions sanitaires (dont ils ont été parmi les premières victimes – si je ne me trompe pas, le tout premier cluster en France était lié à l'aéroport de Roissy) soient mises en place et appliquées, et strictement. Bien sûr, comme cette tâche est officiellement dévolue aux flics et douaniers, le clash avec l’État bourgeois aurait été immédiat. Dans la pratique les ouvriers aéroportuaires auraient compris que leurs intérêts vi­taux sont contraires à ceux des capitalistes.

Dans l'article, la seule réponse avancée, dans le cadre capitaliste, ayant une relation directe avec la pandé­mie, complètement générale – car il n'y a rien de concret qui est avancé ensuite – est «  la nécessité de lutter pour le contrôle syndical sur la sécurité au travail ». Principe général correct et nécessaire. Mais, pour trouver des ré­ponses sanitaires concrètes sauvegardant la vie et la santé des travailleurs, il faut aller dans la partie «  Pour de nouvelles révolutions d’Octobre !  ». Car il n'y a qu'après la révolution qu'on pourra prendre ces mesures. La réqui­sition des terrains de golf ne peut apparemment être faite que par la dictature du prolétariat, pas avant, pourquoi ? Doit-on supposer que l'occupation des usines ne sera possible qu'au moment de ou après la révolution? La dénon­ciation des directions syndicales est faite sur leurs demandes à l’État bourgeois d'agir, ce qui est juste. Mais jamais on ne leur reproche qu'elles refusent de mobiliser la classe ouvrière pour sauvegarder l'intégrité physique de la classe ouvrière. Effectivement, les directions syndicales appliquent leur programme de soutien au gouvernement bourgeois. Qu'est ce qui nous empêche d'avancer, de façon propagandiste, que si la classe ouvrière arrivait à foutre dehors les bureaucrates réformistes qui dirigent les syndicats pour mettre une direction lutte de classe, elle pour­rait réquisitionner ces golfs pour assurer la distanciation sociale. En ne le faisant pas, la LCI propose, concrètement, à la classe ouvrière d'attendre la révolution (je suis pour la révolution, bien sûr). Cela démontre une perte de confiance dans le rôle que pourrait jouer, avec l'intervention du parti révolutionnaire, la classe ouvrière vers l'indé­pendance vis-à-vis de l’État bourgeois et contre leurs directions pro-capitalistes en place. C'est sans doute cette perte de confiance dans les capacités des ouvriers qui est à l'origine du soutien de la LTF à Martinez.

Dans cet article, le passage sur les grèves des travailleurs contre les conditions de travail qui les mettent en danger, pour des masques, des protections, des hébergements sécurisés, etc. est caricatural. On indique « Ces luttes et ces revendications légitimes mettent sur la table des mesures de base pour combattre le virus et défendre les intérêts de classe élémentaires des travailleurs. »Tout à fait. Mais ensuite on part sur des généralités « les marxistes soutiennent ces luttes et y participent pour rendre les syndicalistes combatifs conscients du lien avec la lutte de classe générale contre la bourgeoisie. Cela veut dire combattre impitoyablement le mensonge bourgeois de l’ 'unité nationale'' » et de dénoncer les directions réformistes et leur soutien à l’État. Bien sûr dénoncer l'unité nationale est importante. Mais un des problème des travailleurs dans cette lutte précise est que les masques, les tests, les hôtels sécurisés, il n'y en avait pas. Je ne connais pas la situation précisément en Afrique du Sud, mais on a eu le même problème ici. Le gouvernement a expliqué que les masques ne servaient à rien, parce qu'il n'en avait pas.

Pour résoudre ce problème concret pour les travailleurs (puisque l'exposition peut mener à la maladie ou la mort – 3000 infirmières dans le monde sont mortes selon les statistiques officielles), la réponse de la LCI se trouve à nouveau dans la partie « Pour de nouvelles révolutions d’Octobre ! ». En effet, après la révolution, « contrairement à l’anarchie capitaliste, un État ouvrier serait capable de réorienter l’activité économique en mo­bilisant davantage de ressources de la société dans les branches industrielles nécessaires pour faire face à la pan­démie – assurer des soins médicaux, la garde des enfants, le logement ; construire et moderniser des hôpitaux, produire en masse des respirateurs, des tests de dépistage et des équipements de protection ; distribuer les pro­duits alimentaires, développer et tester un vaccin et des traitements antiviraux ». A nouveau, au lieu de lier le sou­tien à l’État des directions réformistes à leur acceptation des conditions de travail des ouvriers – et donc leur ac­ceptation de la pandémie –, aucun programme transitoire n'est avancé pour montrer comment la résolution de leurs problèmes actuels, définitivement, ne pourra se faire qu'avec la destruction de l’État bourgeois.

Que la perspective à long terme soit la révolution, bien sûr. Mais dans l'immédiat, là encore, les possibili­tés que la puissance de la classe ouvrière organisée pourrait avoir n’apparaît pas. Est-ce qu'une CGT lutte de classe ne serait pas capable de contacter les ouvriers de l'usine de masque FFP2 qui a été fermée il y a quelques mois pour qu'ils l'a rouvrent, pour la faire tourner. Monter des lignes de masques chirurgicaux, en prenant contacts avec les syndicats de la chimie pour obtenir les matériaux nécessaires à leur fabrication. Cela bien sûr en réquisi­tionnant ou occupant les usines nécessaires. N'y a-t-il pas des ingénieurs de tous les secteurs industriels néces­saires qui seraient enthousiastes pour aider à monter des lignes de fabrication de protections efficaces pour les in­firmières et médecins au front ? Combien d'hôtels se trouvent à proximité des hôpitaux parisiens ? Une fois réqui­sitionnés, combien d'infirmières pourraient être logées au lieu de retourner chez elles en prenant le risque de contaminer la famille et le quartier. Etc. Bien sûr cela nécessite d'avoir virer les bureaucrates. Ils viendront tout de suite prêter main forte aux flics qui seront mobilisés immédiatement pour casser. Car la bourgeoisie, après avoir argumenté qu'on ne peut pas sauver les vies, enverra ses flics. D'avoir confiance que les ouvriers sont capables de se mobiliser pour sauver leur peau, cela rendrait un peu moins abstrait pour les ouvriers le slogan propagandiste « exproprions la bourgeoisie » qui est mis en exergue au début de l'article. Vu l’état des syndicats et de la classe ouvrière, ce ne pourrait être que propagandiste (contrairement aux morénistes et autres front social qui pensent que la révolution est à la sortie de la crise). Comme est propagandiste nos points sur les piquets de grève par exemple.

Pour finir sur les revendications « démocratiques », il y a celle sur l'ouverture des écoles. Là encore, cette revendication est hors contexte, hors sol. S. a fait un excellent point sur le fait que la fermeture des écoles fait repo­ser tout le poids des contraintes quotidiennes sur les femmes. Mais, comme les camarades du TOE, aucune mesure sanitaire n'est prise en compte. Donc si on met en pratique cette revendication, dans le monde réel avec le virus et ses risques, qu'est-ce que cela signifie ? En novembre dernier, il y a eu quelques grève dans des lycées. Il y avait une vidéo de deux lycéens du 94 qui s'étaient fait tabasser par les flics parce qu'ils étaient en grève. Ils expli­quaient que leur grève était pour qu'il y ait des conditions sanitaires efficaces, car ils avaient des parents à hauts risques et ils n'avaient aucune envie d'être responsables de leur mort. Ces jeunes d'origine maghrébine reflétaient bien ce qu'est la crise sanitaire : les quartiers populaires sont les premiers à payer parce que les obligations d'aller au travail, dans des conditions de transport ou de travail non sécurisés (aucune désinfection sérieuse, promiscuité, etc.), les logements où règnent la famille est entassée, les conditions de santé dégradées, etc. font que la pandémie sévit plus fortement et plus vite. Je sais que j'enfonce une porte ouverte, mais apparemment ce sont des choses qui n'entrent plus en ligne de compte dans cette discussion sur l'ouverture ou non des écoles.

Donc le débat du style « je suis pour la fermeture des écoles » contre « je suis pour l'ouverture des écoles » revient à discuter « je suis pour mourir d'isolement et d'oppression » contre « je suis pour mourir de mala­die ». Exactement le choix que le capitalisme nous propose. Une médaille, deux faces. Le plus désolant c'est que les camarades sont tellement perdus dans le monde des idées qu'ils sont capables de discuter le plus sérieusement du monde de cette manière.

Il n'y a pas de syndicats dans les écoles ? Les parents d'élèves ne sont ni syndiqués, ni organisés ? C'est inenvisageable que syndicats et parents s'organisent pour imposer des conditions sanitaires adéquates et refusent de transformer les écoles-collèges-lycées en cluster ? Et s'il faut fermer une école pour éviter la pandémie, il est impossible pour des syndicats locaux d'organiser pour que des garderies sécurisées (et elles le seront mieux qu'avec l’État) prennent en charge les écoliers ? Il faudra faire des réquisitions de locaux, de cuisines municipales ou autre, je ne sais pas. Bien sûr l’État ne sera pas content. Mais jamais ce genre de chose n’est envisagé. Il faut toujours se reporter au paragraphe « Pour de nouvelles révolutions d’Octobre ! ».

Et je pourrais continuer, sur le traçage, les tests, les vaccins, les hôpitaux, les quarantaines, etc.

La tendance inhérente à ces discussions abstraites et ne proposant rien pour stopper la pandémie est qu'il y a une pression qui se met en place pour considérer, implicitement, que la Covid-19 n'est pas une maladie si dan­gereuse que ça. On met de côté l'absence de médicament pour la Covid, on met de côté les conséquences à long terme – inconnus pour le moment – de la maladie, on met de côté les morts, etc. Ça permet d'atténuer le fait qu'on n'avance pas de réponses immédiates (si ce n'est pas trop dangereux, on peut attendre la révolution). On flirte avec ça dans l'article (avec les comparaison avec la grippe et autres maladies ou fléaux divers qui déciment la classe ouvrière). On a aussi ça dans le rapport. Le rapport d'avril 2020 du TOE commençait avec les 108 morts de l'époque, là les bientôt 7000 morts (multiplié par 70) ne sont pas mentionnés. Autre avantage, ça permet de donner meilleure conscience aux camarades et d'atténuer l'absence de réponse de la LCI à la pandémie.

Finalement sur le Confinement.

Drôle de « discussion ». À ma connaissance, à part les bonnes sœurs et les moines, je ne connais personne sur cette planète qui soit pour le confinement. Donc être pour le Confinement ou contre le Confinement, dans une organisation communiste est un débat qui n'a pas lieu d'être.

Le confinement comme moyen (terrible) d'arrêter une pandémie est, par principe, éliminé de la discus­sion.

La dernière note du SI parle quand même de confinements au pluriel. Parce que les formes différentes de confinements qui ont été mis en place se comptent par dizaines, du simple bâtiment au pays, en passant par les vil­lages ou quartiers, les provinces, pour 2 semaines, pour un mois, pour 3 mois, pour un an, complet (tout y compris les usines fermées) à semi-complet, quart de complet en passant par toutes les variantes. Donc parler du « Confi­nement » est ridicule. Les formes qu'on connaît dans les pays européens sont de type long et non complet. Mais comme le confinement n'est jamais examiné en tant que moyen de lutte contre la pandémie, personne n'essaie de comprendre pourquoi les confinements des pays comme l'UE (ou aux USA) sont impuissants à arrêter la pandé­mie. J'ai déjà écrit que l'objectif des capitalistes européens n'a jamais été d'arrêter la pandémie, mais de la ralentir. De vagues en vagues, la pandémie, après chaque creux, relance une crête encore plus haute aux proportions incon­trôlables. Et les capitalistes, de peur que leur système économique ne se retrouve bloqué (les morts et les malades ne sont pas un critère pour eux) plus rapidement que celui de son petit (ou gros) voisin (et donc la pompe à fric risque de s'arrêter plus longtemps), se retrouvent obligés de prendre des mesures comme des mesures de confine­ment. Or, en laissant une part importante de la population hors confinement et dans des conditions sanitaires dé­plorables, ces confinements font subir tous les inconvénients avec une efficacité (pour la pandémie) faible ou nulle. Tout le monde connaît les conséquences de confinements qui durent des mois et des années qui sont– au ni­veau social, psychologique, physique, économique, etc. – désastreuses. Les classes populaires, les minorités eth­niques, les femmes, tous les jeunes, les vieux, les handicapés ou les malades graves dont les soins sont arrêtés, etc. payent au prix fort. Et ces conséquences s'ajoutent à celles de la Covid puisque ce sont aussi ces mêmes classes populaires et minorités qui sont frappées de plein fouet par la maladie.

Les camarades jettent le bébé avec l'eau du bain. Qu'est-ce que veut dire être contre le Confinement en général concrètement. A la mi-février, les écoles de Phnom Penh ont été fermées, et des mesures de confinements locaux et de contrôles ont été prises pour stopper un début d'épidémie dû au fait que quatre personnes (dont deux positives) arrivées de l'étranger se sont échappées de leur lieu de confinement pour aller au karaoké et ont conta­miné. Si on avait une section, dénoncerait-elle le confinement et appelerait-elle à l'ouverture des écoles ? Je prends cet exemple du Cambodge, où il y a zéro mort et pas de confinement permanent (les karaokés sont ou­verts), parce que c'est capitaliste Si je prends un parmi les dizaines d'exemples que je connais de confinements lo­caux en Chine (qui ont permis depuis un an d'éviter une deuxième vague), on va me répondre que c'est un État ou­vrier, et là, le Confinement n'est plus une question de principe, on peut soutenir (le virus est stalinien apparem­ment). Si on avait une section en Guinée, protesterait-on contre les mise en quarantaine/confinement des zones où l'Ebola est en train de se développer ? Les positions « de principes », dans le monde réel, reviennent à appeler à laisser faire et à l'extension de l'épidémie. L'avantage des postures, c'est que c'est simple car on ne les remet pas dans le monde réel. C'est plus compliqué de trouver des solutions permettant à la classe ouvrière de comprendre le rôle qu'elle devrait avoir, le rôle de l’État capitaliste et la nécessité de le combattre pour en finir avec le capita­lisme.

Si des pays impérialistes en sont arrivés à de telles procédures, c'est qu'ils ont laissés le virus filer, pour x ou y raisons (toutes aussi mauvaises), et que les directions de la classe ouvrière (politiques comme syndicales) ont soutenu les raisons et les mesures des capitalistes (dans beaucoup de pays de l'UE, toutes les mesures sanitaires ont été soit élaborées directement par les États avec les directions syndicales, soit approuvées explicitement soit implicitement par ces directions). Ces directions syndicales n'ont rien dit ni rien fait pour mobiliser la classe ou­vrière et les opprimés pour qu'ils essaient de prendre en charge eux-mêmes leur protection et leurs vies, indépen­damment de l’État. Elles se sont contentées au mieux de protester et de faire éventuellement pression, gentiment et respectueusement, sur l’État bourgeois. Bien sûr que les États ouvriers peuvent prendre des mesures pour stopper et contrôler une pandémie, même encerclés par des pays infestés – la Chine va bientôt pouvoir fêter une année sans mort, sans confinement généralisé. Mais en insistant qu'il n'y a qu'un État ouvrier qui pourrait prendre des mesures de protection sociales et sanitaires qui pourraient empêcher une pandémie, la LCI se cache derrière son petit doigt, avec des phrases montrant plus d'impuissance sur la question de la pandémie qu'autre chose. De peur de devenir réformiste, elle se retrouve sur le classique « programme maximum-programme minimum ». Et sur la question de la pandémie, elle a laissé et laisse le terrain libre aux directions syndicales réformistes (et à nos oppo­sants). La classe ouvrière est rendue impuissante et n'est considérée que comme une victime passive.

Bien sûr avec la Covid, les attaques des capitalistes se démultiplient tant au niveau politique qu'écono­mique. Il est normal d'en discuter aussi (il est difficile de trouver une organisation politique ou syndicale, et des li­béraux bourgeois, qui ne dénoncent pas les dérives autoritaires et les attaques au niveau économiques). Que la LCI soit passée à travers la crise de la Covid est tout compte fait un choix qui a été fait. Le « sauvetage de la SL » qui est l'explication de ce ratage ne résistera pas au temps. Et la discussion sur la pandémie (pardon, le Confinement) finalement relancée, montre des qualités de débat hors sol et atemporel, de débats d'idées abstraites qui sont la continuation du marasme avec la SL. Je n'ai pas d'explication cohérente sur le pourquoi de cette dérive.

Mais ce sera sans moi.

Brunoy.